50 ème ANNIVERSAIRE DU CRASH DE CARACAS:Hommage à Euvremont Gène, ancien Secrétaire général du PCG

P ermettez-moi, en ce jour où nous sommes appelés à com- mémorer le 50 è me anniversaire de la mort tragique de notre regretté Secrétaire général, Euvremont Gène, d’adresser à ses enfants, à sa famille et à ses cama- rades, les sincères et affectueux sentiments de solidarité du Parti Communiste Guadeloupéen.

Dans le crash toujours inexpliqué de l’avion d’Air France, le 3 décembre 1969 au large de Caracas au Venezuela, vous avez perdu un père, un parent ; le Parti a perdu un dirigeant de haut niveau ; le pays a perdu un leader de grande qualité.

J’ai une pensée de grande frater- nité pour tous ceux qui ont perdu la vie dans cette catastrophe, encore innommable, de par la volonté des dirigeants de l’Etat français, depuis 50 ans.

C’est pourquoi, ce soir, c’est avec une très grande émotion que j’adresse les salutations du Parti, aux familles des victimes de cette catas- trophe, présentes, pour participer avec nous à cette commémoration :

- Les enfants du camarade Dolor Banidol qui lui aussi revenait d’une mission confiée par le Parti Communiste Martiniquais.

- Madame Sylvie Yrissou, la fille du mécanicien-navigateur sur ce vol de la compagnie Air-France. Mesdames et Messieurs,

S’il y a une chose que je regrette, c’est le fait que la vie ne m’a pas laissé le temps de connaître davan- tage le camarade Euvremont Gène. Nous avons été en relation au Congrès constitutif de l’Union de la jeunesse communiste, dans lequel il s’est fortement impliqué et lors du 4 ème Congrès du Parti en 1968 où il a été élu Secrétaire général pour un deuxième mandat.

Je n’ai jamais oublié comment j’ai appris ce tragique accident. En décembre 1969, je faisais mon ser- vice militaire au camp Dugommier à La Jaille. Je rentre en permission à Capesterre, c’était un 12 décembre, et je croise un camarade qui me dit que, ce soir, la Section se réunit, pour parler de la mort de Gène. Devant ma surprise, il me donne les informations que je ne pouvais pas avoir, là où j’étais au moment du drame. C’était le choc. Car, il était dans mes intentions de mieux connaître ce dirigeant qui m’avait beaucoup impressionné lors des travaux du 4ème Congrès, par sa grande maîtrise des questions en débat, par la force et la confiance qu’il insufflait.

J’ai dû, par la force des choses, partir à sa rencontre à travers la lecture des textes publiés dans le journal l’Etincelle et des rapports qu’il a pré- sentés devant les instances du Parti. Je témoigne ici, qu’Euvremont Gène a produit un travail intellec- tuel impressionnant en s’appuyant sur la théorie Marxiste-Léniniste qu’il maîtrisait parfaitement, pour éclairer les enjeux et les condi- tions de développement de la lutte de libération nationale et sociale en Guadeloupe. Il nous a laissé en héritage une richesse considérable en termes d’analyse politique, économique, sociale et, surtout, il s’est distingué dans une application créative de l’idéologie communiste et de la stratégie de libération en Guadeloupe.

Le Parti Communiste Guadelou- péen dispose, avec les contributions laissées par Euvremont Gène, de matériaux pas encore utilisés qui peuvent servir à éclairer le chemin de la révolution en Guadeloupe.

Un regard objectif sur l’engage- ment politique de Gène, depuis son adhésion au Parti Communiste à la Section de Port-Louis, sa commune de naissance, nous permet de découvrir un militant communiste de terrain, combatif, courageux, lié aux travailleurs et aux masses, doté d’une intelligence politique incon- testable. Il a largement contribué, par ses actions réussies, à l’implan- tation du Parti et à l’organisation des travailleurs dans cette région du Nord Grande-Terre, à l’organisa- tion de la Section Communiste dont il a été le secrétaire politique et aux victoires du Parti dans la ville du Moule, où il a été le 2 ème adjoint au maire, centre névral- gique de la confrontation du Parti Communiste avec les capitalistes usiniers et l’Etat colonial français.

Euvremont Gène : Un dirigeant d’une grande fermeté idéologique et un organisateur méthodique

Euvremont Gène, détestait l’ama- teurisme, les bavardages stériles, le dilettantisme. Il était pour le travail bien fait dans le respect de l’engagement et des règles de fonctionnement du Parti.

Certains le pensaient sectaire, bru- tal, autoritaire. Mais, il y a lieu de reconnaître que le respect des prin- cipes qu’il exigeait de tous, il se les appliquait d’abord à lui-même, en toutes circonstances.

C’est cette soif de rigueur et d’au- thenticité qui le conduisit tout natu- rellement à se donner les moyens de la connaissance pour être en mesure de défendre au plus haut niveau, les intérêts des travailleurs et du pays. Il a donc suivi de longues périodes de formation à l’institut des Sciences sociales de Moscou.

Il a acquis dans cet institut qui for- mait les cadres de tous les Partis Communistes, un lourd bagage théorique et technique qui lui a per- mis de devenir ce grand dirigeant communiste craint par les autorités de l’Etat en Guadeloupe.

La preuve nous est apportée par cet «historien-détracteur» qui dans son pamphlet nauséabond cite le préfet Bonhomme qui écrit : «Gène est l’un des dirigeants les plus en vue du PCG, actif, sectaire et violent au sein de ce Parti d’extrême gauche».

Mais, craint aussi par le premier Parti de la réaction en France, l’UNR. Un certain Monsieur Rives, député UNR de Paris, venu au congrès de la Fédération UNR-UDT, le 6 septem- bre 1964, en Guadeloupe, s’ex- clama en ces termes : «En Guade- loupe, il y a deux partis politiques, les Communistes et l’UNR» et de d éclencher une violente diatribe contre le PCG et particulièrement contre Euvremont Gène qualifié de «fer de lance de la lutte pour l ’Autonomie».

T héoricien et propagandiste de la revendication autonomiste, Euvre- mont Gène s’occupait aussi de l’or- g anisation et de la vie de tous les organismes du Parti en payant d’exemple. Il organisait avec mé- thode et compétence le travail de la direction du Parti, participait effec- tivement à toutes ses réunions de cellules et suivait avec attention l’application des décisions prises.

Il avait le souci permanent de l’im- plantation et du renforcement du Parti sur tout le territoire guadelou- péen. Cette volonté s’exprime très clairement dans le discours qu’il prononça à la clôture de la 2 ème jour- née d’étude du Parti sur les pro- blèmes paysans, le 16 février 1969. Il appelait les Communistes à partir à la conquête de toutes les victimes de l’exploitation coloniale en décla- rant : «… Armés de cet outil de combat qu’ensemble nous venons de forger, redoublons d’ardeur et d’initiative : - Diffusons intensé- ment la presse du Parti. - Recrutons systématiquement parmi les ouvriers et les paysans. - Créons partout des cellules rurales - Aidons la paysannerie à voir clair dans l’action malfaisante des gau- chistes et à se mobiliser pour l’ac- tion réfléchie.

Partisan de l’unité d’action, il veil- lait cependant comme sur la pru- nelle de ses yeux à l’unité et à l’in- dépendance du Parti qu’il consi- dérait comme la force principale et indispensable pour le succès de la lutte d’émancipation du peuple guadeloupéen.

C’est adossé aux principes d’organi- sation et de fonctionnement d’un Parti Communiste qui applique les fondamentaux du Marxisme- Léninisme, que feu Euvremont Gène a géré et solutionné les diffé- rentes crises qui ont traversé le Parti sous sa direction : le rapport de Rosan Girard avec le Parti, la scis- sion de 1966 avec les signataires de l’appel : «Nous prenons position», la question chinoise, mai 1967.

Il nous a laissé un Parti qui, après le 4ème congrès de 1968, mettait en place sous sa ferme direction une stratégie dépouillée de toutes les contradictions et ambiguïtés qui l’affaiblissaient de l’intérieur.

Euvremont Gène, un acteur déter- miné de la lutte des masses

Le camarade Gène se posait en rempart contre toutes formes de luttes qui ne prenaient pas en compte l’état réel de la situation et le niveau de conscience des masses. Il considérait comme irresponsable et aventuriste à engager les travail- leurs dans des actions ou des voies qui ne pouvaient déboucher que sur l ’anéantissement du mouvement de libération. Dans ses éditoriaux qui sont aujourd’hui sources d’édu- cation et de conscientisation il affir- m ait avec force la voie de la lutte des masses au grand jour comme étant la stratégie la plus conforme au développement des rapports de c lasse en Guadeloupe. Dns un édito- rial publié dans l’Etincelle du 15 novembre 1969 il écrivait : «Ce sont les rapports colonialistes qui entre- tiennent le sous-développement. Il convient de les briser. Pour y parvenir porter chaque jour, toujours plus haut le niveau de lutte contre le fait colo- nial : le chômage, les discriminations, l’humiliation, le mépris, la déperson- nalisation».

C’est son positionnement inébran- lable pour la lutte des masses au grand jour qui explique sa volonté de doter les différentes couches sociales d’outils pour la défense de leurs droits et pour les entraîner dans la lutte générale de libération de tout le peuple.

Il a été à l’initiative de la création de l’Union de la Jeunesse Communiste ; il a joué un rôle de premier plan dans l’organisation syndicale des fonc- tionnaires de l’agriculture et dans l’association des élèves de l’école d’agriculture où il a reçu son diplô- me de Technicien agricole et à mili- ter activement pour rendre effec- tive l’alliance des ouvriers et des paysans en Guadeloupe.

Il a porté une attention particulière à l’organisation des femmes dans le cadre des relations d’amitié et de solidarité avec l’Union des Femmes Guadeloupéennes.

Toutes ses actions et interventions convergeaient vers le même but : l’union de toutes les forces anticolo- nialistes dans l’action pour faire sau- ter le joug colonial.

Son credo était très clair et il résonne encore comme un testa- ment dans le dernier éditorial qu’il a écrit dans le journal l’étincelle le 15 novembre 1969 avant de s’envoler pour cette mission au Chili : «Seule une action populaire conséquente peut obliger le gouvernement à s’orienter vers les solutions humaines que nous ne cessons de proposer».

Euvremont Gène : Un anticolonia- liste convaincu et militant actif du Front pour l’Autonomie

En le poursuivant devant la cour de sureté, tribunal d’exception, avec ses camarades Songeons et Ibéné pour atteinte à l’intégrité de l’Etat parce que réclamant l’Autonomie de la Guadeloupe, en le privant de son travail à la Chambre d’agriculture par une mesure de répression adminis- trative, l’Etat colonial français désignait Euvremont Gène comme un combattant anti colonialiste crédible, son adver- saire le plus redoutable.

Toute sa vie de militant et de diri- g eant communiste, il a occupé, avec honneur, son poste en pre- mière ligne de la lutte pour rassem- bler, dans un Front, toutes les forces a nticolonialistes, sans exception : politiques, religieuses, culturelles et autres sur la base d’une plate-forme d’actions communes.

A la suite de l’accord réalisé entre plusieurs organisations et person- nalités indépendantes pour mettre en place le Comité provisoire du Front guadeloupéen, il pouvait exprimer, dans un éditorial du jour- nal l’Etincelle publié le 18 juillet 1964, sa satisfaction en ces termes :«Nous sommes pleinement satisfaits de ce bon départ. Désormais, la lutte guadeloupéenne anticolonialiste est grosse d’actions de masse de large envergure. Nous faciliterons l’accouchement en conti- nuant à donner le meilleur de nous- mêmes pour que le front soit, dans le moindre délai, une réalité vivante, agissante et triomphante».

Depuis cette première tentative du Front pour l’Autonomie qui a implosé en 1965 dans une opposi- tion larvée des différents protago- nistes, cette stratégie qui est aujourd’hui encore, la voie pour conquérir notre libération, reste toujours une exigence.

Un militant internationalistereconnu dans le mouvement com- muniste international

L’internationalisme prolétarien ne s’est jamais résumé à une formule pour Euvremont Gène. Il a toujours considéré que la lutte qu’il menait sous le drapeau du communisme sur le sol guadeloupéen était partie intégrante de la lutte menée par tous les exploités sur tous les conti- nents contre l’ennemi commun, l’impérialisme. La communauté d’intérêt qui en découle fait obliga- tion de construire et de maintenir des liens de solidarité entre les Partis Communistes, et aussi avec le mou- vement de libération nationale des peuples. Il a donné la preuve de sa conviction internationaliste en manifestant publiquement son sou- tien à la lutte du peuple Algérien et du peuple vietnamien pour leur libé- ration nationale. La répression n’a jamais infléchie cet engagement.

Son passage à l’institut des sciences sociales à Moscou lui a donné l’oc- casion de nouer des relations solides avec les dirigeants du mou- vement communiste international et aussi de développer ses connais- sances dans le domaine internatio- nal et dans la pratique des relations entre partis communistes.

C’est cette maîtrise des relations internationales qui lui a permis de prononcer un discours qui a fait forte impression à la conférence internationale des Partis commu- nistes et ouvriers, en juin 1969, à Moscou. Il a conclu son discours en faisant référence à Lénine : «Eh bien l’heure est venu d’appliquer le pré- cepte sacré de Lénine : Avancer en s e tenant solidement la main. Ensemble avançons camarades ! Que se retrouve, vive et progresse l ’unité d’action des partis commu- nistes et ouvriers du monde !».

Les messages de condoléances venus du monde entier témoignent de la place et du rôle du camarade d ans le mouvement communiste international.

Nous ne citerons qu’un extrait du message adressé par le Parti de l’avant-garde socialiste d’Algérie.

«Le Camarade Euvremont Gène, courageux fils du peuple guadelou- péen, combattant anticolonialiste infatigable et communiste exem- plaire était bien connu des Algé-riens qui n’oublieront ni son nom, ni son exemple. Chacun d’eux sait, en effet, que le camarade a payé de sa liberté son attachement à la cause de l’indé- pendance de notre pays».

Euvremont Gène, nous hono- rons sa mémoire, nous conti- nuons son combat

Le 3 décembre 1969, un avion s’est crashé au-dessus des côtes du Venezuela et a entraîné dans la m ort 62 personnes. Le camarade Euvremont Gène était dans cet avion, il rentrait en Guadeloupe r eprendre sa place à la direction de la lutte d’émancipation de son peuple. 50 ans après, les autorités françaises refusent de nous dire p ourquoi il est mort dans cet avion d’Air France.

Mais l’exigence de vérité gagne les consciences. La vérité est en marche, rien ne pourra l’arrêter.

En honorant la mémoire de Gène à l’occasion du 50ème anniversaire de ce crash, c’est cette exigence de vérité que nous manifestons avec le ComEG. C’est aussi la réaffirmation de l’engagement des Commu- nistes, de ses camarades, de pour- suivre le combat pour lequel il a donné sa vie.

Le corps de Gène s’est abîmé dans la mer des Caraïbes mais, l’esprit de lutte qu’il a insufflé aux ouvriers et paysans opère toujours, la flamme qu’il a allumée ne s’est pas éteinte.

Pour une appréciation historique de la place et du rôle de Gène dans le Parti et le pays, nous empruntons, hommage du vice à la vertu, les paroles prononcées par Henri B angou au nom du Parti au terme de l’éloge funèbre qu’il prononçât le 21 décembre 1969 : «Ne nous a-t-il pas légué en définitive un a rbre de vie plus vivace que jamais, dont les racines sont enfouies au plus profond de la terre de notre G uade-loupe, dont nous voyons s’élever le tronc noueux et fort comme sa voix et son torse puis- sants et dont les branches, rayon- nant sur la famille communiste du monde entier nous rapporte les poi- gnées de mains fraternelles de cen- taines de milliers de combattants pour le triomphe du socialisme et du communisme !

Camarade Gène, le Comité Central en s’inclinant solennellement au- jourd’hui devant ta mémoire entretiendra pieusement cet arbre de vie auquel tu as donné tant de force». Henri Bangou n’a pas tenu ses promesses.

Mais, les Communistes restés sur le pont continuent le combat pour honorer la mémoire de Gène et pour le triomphe de la vérité.