L’assassinat de Qassem Suleimani Un acte de guerre aux conséquences imprévisibles

L’assassinat de Qassem Suleimani par un drone américain sur l’aéroport de Bagdad, le 3 janvier dernier, a fait crain- dre le pire pour l’avenir de toute une région qui risquait brusquement de sombrer dans la guerre. Commandant des gardiens de la révolution islamique, deuxième personnage officieux de la république islamique, sa mort ne pouvait laisser sans réponse un régime iranien dans son bras de fer avec les USA, depuis que Trump a décidé, en 2018, de rompre unilatéralement l’accord sur le nucléaire de 2015. Cet accord, rappelons-le, levait les sanctions économiques contre l’Iran, en échange d’un arrêt du nucléaire militaire.

La mort de Qassem S uleimani est un acte de guerrecaractérisé et on pouvait craindre une dange- r euse escalade. Mais, depuis le dra- matique tir de missile contre un avion de ligne ukrainien qui a coûté la vie à 176 personnes, le 8 janvier, le soir même de la riposte iranienne s ur des bases américaines en Irak, la population s’est mobilisée dans la rue pour crier sa colère contre le pouvoir des mollahs.

De nombreuses victimes de ce vol étaient des bi-nationaux d’origine iranienne. Nul ne peut prédire aujourd’hui comment évoluera la situation, tant en Iran que sur le plan régional. Plusieurs faits semblent néanmoins acquis et montrent que, dans ce bras de fer, les Américains sont loin d’avoir mis l’Iran à genoux.

L’Iran est touché par des sanctions économiques depuis 1995 et celles- ci se sont nettement aggravées avec la sortie des Américains du traité sur le nucléaire conclu en 2015 par les USA, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, la Russie, la Chine et l’Union euro- péenne

. Depuis des mois, l’Iran tente de desserrer cet étau en mul- tipliant les actes d’escarmouche contre les Américains et leurs alliés. Le but semble clairement de mon- trer que les sanctions aggravées n’ont pas éloigné les risques de conflit mais les ont, au contraire, rapprochés.

DÉSINVOLTURE ET MÉPRISDES AMÉRICAINS À L’ÉGARD DE LEURS PROPRES ALLIÉS OCCIDENTAUX

Par ailleurs, les Iraniens sont, en par- tie, parvenus à isoler les USA, grâce à un certain nombre d’actions. Il y a eu, en particulier, l’attaque des raffi- neries de l’Aramco en Arabie Saoudite le 14 septembre qui a marqué un véritable tournant dans la région, en montrant deux choses : la vulnérabilité des installations saoudiennes, en raison de l’ineffica- cité des missiles anti-missiles améri- cains, et l’absence d’engagement des Américains vis-à-vis de ses plus fidèles alliés dans la région.

En ne répliquant pas, les Américains ont, en effet, montré les limites de leur solidarité à l’égard de leurs alliés. De la même façon, en ne pré- venant pas ses alliés de l’Otan de leur opération contre Soleimani, ils ont montré la désinvolture et le mépris avec lesquels ils traitent leurs propres alliés occidentaux. Enfin, en laissant penser qu’une dis- cussion au plus haut niveau était possible en vue de recoller les morceaux avec les USA, les Iraniens ont donné des sueurs froides au gouvernement israé- lien actuels qui est un des plus fidèles soutiens de Trump.

Finalement, le Président iranien a refusé, à la dernière minute, de décrocher l’appel téléphonique de Trump, lors de la dernière session de l’ONU, sans doute sous la pres- sion des durs de Téheran.

VERS UN REVERS DELA POLITIQUE AMÉRICAINE DANS LA RÉGION

Comme résultat de la politique de Trump, on ne peut que constater la chose suivante : les Américains ont- ils fait évoluer la situation en leur faveur ? En termes de géopolitique on peut en douter car, ils sont pro- gressivement hors jeu. Les puis- sances régionales que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran commencent un timide dialogue direct grâce à la médiation du Pakistan.

Après l’assassinat de Suleimani, les Irakiens souhaitent désormais le départ des troupes américaines de leur pays. Les alliés occidentaux, de leur côté, sont de plus en plus éloi- gnés des positions américaines au point de vouloir continuer l’accord sur le nucléaire. Les Iraniens, eux, ont repris l’enrichissement du com- bustible nucléaire. Tout cela signe un revers cuisant de la politique éta- sunienne. Comme le disait ironique- ment un officiel américain cons- cient de ces résultats peu brillants (pour les USA) : nous, Américains, nous jouons aux dames pendant que les Iraniens jouent aux échecs !

Autre conséquence de la politique de Trump, la situation des droits de l’homme en Iran, déjà exécrable, a encore empiré avec une violente répression des manifestations populaires contre la hausse du prix de l’essence en novembre et qui a causé, sans doute, plusieurs cen- taines de morts. On ne doit pas oublier le très lourd tribut payé par le peuple iranien sous le régime des ayatollahs. Que l’on se souvienne par exemple de l’élimination d’un des partis qui avait permis le renver- sement du chah, le Parti Communiste (Toudeh) dont la direction et les militants ont été emprisonnés, torturés et exécutés au début des années 1980. Le régime iranien est probablement actuellement un des pires régimes antidémocratiques, et la géopoli- tique influe de façon non négligea- ble sur la situation des droits de l’homme à l’intérieur du pays.

LE PEUPLE IRANIEN A DROIT ÀUNE SOLIDARITÉ SANS FAILLE POUR UNE LIBÉRALISATION DU RÉGIME ET POUR LA PAIX

Comment, dans ces conditions, ne pas se remémorer l’attitude des USA qui, sous la présidence de Barak Obama, avaient commencé à parler aux Iraniens, à travers l’accord sur le nucléaire. Il en était résulté une levée des sanctions écono- miques et donc des restrictions dans la vie de tous les jours en Iran. Les modérés à Téhéran en avaient été confortés et avaient gagné en confiance dans le pays pour conduire une évolution vers une libéralisation du régime. Il s’agissait d’un pas considérable dans la bonne direction vers un apaisement des tensions, et l’orientation de la poli- tique américaine y était pour beau- coup. Obama, on le rappelle, a obtenu en 2009 le prix Nobel de la Paix pour «ses efforts extraor- dinaires enfaveur du renforce- ment de la diplomatie et de la coo- pération internationale entre les peuples». Tout est dit.

Notre solidarité avec le peuple iranien doit être sans faille et nous sommes à leur côté dans leur lutte de tous les jours pour la paix et la liberté.