On ne doit plus se voiler la face

Aujourd’hui on a l’impression de vivreune éclosion massive des potentialités féminines, une sorte de renaissance fulgu- rante des femmes. De même, on semble découvrir leur impact grandissant dans notre société comme une nouveauté. Cette façon de voir suscite à n’en pas douter, des réactions diverses qui rejaillissent sur notre vie au quotidien.

La gente masculine en grande partie, est partagée entre une forme de peur et une méfiance systématique à l’égard des femmes pour certains, et pour d’autres, une volonté farouche de les mater, de les posséder totalement, sinon, leur tordre le cou, voire les faire taire à jamais, tant ils n’acceptent pas qu’elles leur disent : «Non ! Je fais ce que je veux» ou «C’est fini ! Je m’en vais».

La gente féminine elle, avec ses suc- cès, se sent plus forte. Chez elle, l’au- dace grandit, et souvent, des femmes se montrent arrogantes, voire témé- raires, suffisantes…

N’étant pas spécialiste de ces questions, je voudrais m’en tenir aux simples constats, laissant aux sociologues et autres pratiquants des sciences humaines le soin de les analyser.

Mais mon vécu de femme militante de l’Union des Femmes Guadelou- péennes et du Parti Communiste Guadeloupéen depuis 50 ans, m’a permis d’avoir une vue assez large des réalités de mon pays, pour conclure que cette modernité qui s’est installée dans nos vies, sans être forcément négative, n’est pas de nature à nous aider à vivre paisiblement.

L’action combinée de ses différentes composantes : raréfaction de l’emploi bas salaires - profusion de marchan- dises promotionnées par une publicité agressive et intrusive - modèles venus d’ailleurs en diffusion démentielle - frus- trations diverses nourries par une société de consommation qui consi- dère les êtres humains comme des marchandises - une aliénation culturelle soutenue et orchestrée de façon de plus en plus pernicieuse…Tout cela inter agit pour faire de nous des écorchés vifs, nous rendre fous, sans boussole… On voit bien que les mesures mises en place pour soi-disant réduire les vio- lences contre les femmes n’ont pas beaucoup d’effet, car elles ne touchent pas au fond des choses.

On ne doit plus se voiler la face. Il faut s’arrêter de courir, se poser un peu, jeter un regard tranquille sur notre passé.

Cela nous permettra de découvrir que les femmes guadeloupéennes de tout temps ont joué un rôle fondamental dans la vie de notre pays. Elles ont effectivement joué le rôle de «poto mitan» de la société guadeloupéenne post-esclavagiste. Elles ont été remar- quablement résilientes pour trouver en elles mêmes les ressources néces- saires pour faire vivre et prospérer des «embryons de familles».

Elles ont subi les dévastations du cyclone de 1928, mais elles n’ont pas baissé les bras. Au prix de multiples sacrifices, avec ou sans père au foyer, elles ont produit, tout en étant analpha- bètes, des médecins, des avocats, des chercheurs, des scientifiques, des tech- niciens de haute valeur.

Elles ont contribué en très grande par- tie à l’émergence d’une Guadeloupe d’après-guerre qui devait panser ses plaies découlant du blocus, de la rapa- cité et de l’arrogance des usiniers, du despotisme des gouverneurs.

Elles ont tenu leurs tranchées dans tous les combats d’après-guerre contre la misère, l’analphabétisme, la fraude électorale élevée à hau- teur d’institution.

Les exemples qu’elles nous ont lais- sés sont ceux du courage, de l’ab- négation, du sacrifice parental pour faire étudier leurs enfants et les amener au plus haut niveau, de la solidarité vraie dans le couple…

Elles ont travaillé sans trêve, non pas simplement sous l’injonction d’un mari, mais parce qu’elles portaient un projet de vie : Construire une famille solide, avec des enfants instruits, bien tenus, respectueux, toujours propres pour aller à l’école.

Tard couchées, tôt levées, elles s’enor- gueillissaient des résultats de leur pro- géniture, et de la réussite de leurs maris, même quand ceux-ci étaient extrêmement volages, car ce qui comptait pour elles, c’était avant tout l’image respectable qu’elles voulaient donner de leurs familles ; C’était d’aller au bout de leur rôle de poto mitan.

Faut-il rappeler le travail immense d’éducation populaire entrepris au len- demain de la 2 ème guerre par Gerty Archimède, entourée de nombreuses femmes communistes et sympathi- santes, pour arracher l’application en Guadeloupe des lois sociales déjà en vigueur en France ; Pour alphabétiser les larges masses féminines, leur apprendre leurs droits, et à mieux gérer leur vie avec des familles de douze enfants et plus.

Aujourd’hui, les succès apparents des femmes sont avant tout le résultat des luttes de nos aînés -hommes et femmes- qui ont été suffisamment résilients ensemble, pour faire avancer le pays malgré tout.

Nous femmes d’aujourd’hui sommes dépositaires d’un héritage solide que nous devons continuer à débarrasser de tout ce qui pourrait nous faire régresser. Mais de grâce, allons-y ensemble, avec nos «hommes», avec mesure et détermination, mais surtout, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. En revisitant notre histoire avec l’éclai- rage de nos expériences cumulées, nous serons, femmes et hommes de Guadeloupe, mieux armés pour ensemble aller vers un changement profond de mentalité.

Ce changement est indispensable, si nous voulons agir intelligemment et efficacement pour vivre en harmonie avec notre culture, notre nature et le brassage de nos populations, dans une Guadeloupe qui ne peut rester à l’écart d’un développement économique por- teur d’un réel progrès social et de l’affir- mation de ses choix de vie.