L’obésité est une maladie

Dans le système institutionnel français, chacun est libre de dis- poser de son corps. Cette liberté peut aller malheureusement jusqu’au suicide. Toutefois, en raison de certaines dispositions législatives, l’indi- vidu peut tomber sous le coup de la loi. C’est le cas, notam- ment, en matière de drogue, d’état d’ivresse manifeste sur la voie publique, d’attentat à la pudeur. Et les témoins d’une scène réputée porter atteinte à l’intégrité physique de son auteur (blessures, tentative de suicide) peuvent être contraints de répondre de l’accusation de «refus de porter secours à per- sonne en danger».

C’ est d’ailleurs dans cet esprit qu’a été signé le décret n° 2017-738 du 4 mai 2017 d"application de la «loi mannequin», adoptée le 17 décembre 2015, pour lutter contre la maigreur excessive des manne- quins. Cette disposition législative était d’ailleurs déjà en vigueur en Espagne, Israël et l’Italie.

Aux termes de cette loi, la pratique du mannequinat est conditionnée à la délivrance d’un certificat médi- cal par le médecin du travail, attestant que «l’état de santé du mannequin, évalué notamment au regard de son indice de masse cor- porelle (IMC), est compatible avec l’exercice de son métier». Toute infraction à cet article est passible de six mois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

On peut comprendre que cette mesure n’a pas été en faveur des lobbies commerciaux et de la pro- pagande publicitaire mais, elle s’im- posait, compte tenu des avis sans appel de scientifiques, médecins, organismes publics, tel l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Selon ces derniers, toutes ces mani- festations physiques et mentales chez l’être humain que sont l’ano- rexie mentale, la boulimie, l’addicto- logie, l’obésité, sont indiscutable- ment des maladies qu’il convient de soigner, selon des protocoles adap- tés et reconnus.

S’agissant de l’obésité en particulier, le constat est fait par la grande majorité des Guadeloupéens que ce fléau, qui s’apparente de plus en plus à une épidémie, connait une forte croissance depuis quelques années, en dépit de toutes les cam- pagnes mises en place par le monde médical, les services sociaux et sani- taires, les établissements d’éduca- tion, les collectivités, les associa- tions, pour contenir voire infléchir la courbe de cette pathologie.

Evidemment, chacun y va de ses explications : héréditaire, mauvaise alimentation, mimétisme causé et entretenu par l’arrivée d’autres communautés en Guadeloupe… Les imaginations ne tarissent pas. Les fantasmes également. Et on assiste alors, dans le même temps, à la multiplication des concours de beauté avec le soutien de certaines collectivités, pour, selon leurs initia- teurs, valoriser ces rondeurs, cette obésité, afin que les femmes concernées «s’assument». Les appellations rivalisent : «Miss beauté plantureuse», «Miss ronde», «Miss body pulp», «Miss belle et pulpeuse» etc. Les commerces font leur affaire au niveau du chiffre d’af- faire, par le biais de la publicité médiatique, pour la vente des «prêts à porter».

On est à se demander, finalement, s’il sera imaginé, des concours sous le prétexte de valoriser son cancer ou son hernie hydrocèle, jadis appelé «banjo», quand elle pendait démesurément jusqu’aux genoux, au lieu d’inciter et d’en- courager à se faire soigner ou opé- rer le plus rapidement possible. L’envie de porter une écharpe de miss ou mister peut-elle rendre aveugle à ce point ? Nous affir- mons que les associations qui procèdent ainsi, pour soi-disant aider les femmes concernées à assumer leur corps, à oublier même leur maladie, font fausse route et n’expriment pas sincè- rement leurs objectifs et leur inclination au voyeurisme.

E ntendre en effet, lors d’une émis- sion radio sur une station, une des passionnées de ce concours décla- r er : «Fò nou arrété fè ipokrisi, sa moun ka chèché (NDLR : nonm), sé, kuyis, fès é tété (ce que les hommes recherchent chez les femmes, c’est les cuisses, les fesses et les seins)». U ne autre d’ajouter qu’elle est fière d’être passée de 100 kg à 140 kg pour concourir. Pas un mot sur un hypothétique amaigrissement. Autant de déclarations irresponsa- bles qui laissent à entrevoir leur motivation véritable. Et notre jeu- nesse est à leur écoute...

Dans un cadre associatif, il y d’autres actions plus pédagogiques, forma- trices et culturelles, des protocoles mieux adaptées pour conscientiser l’individu sur son état, sans le déva- loriser pour autant.

Ce serait donc faire preuve de laxisme coupable ou de flatteurs des bas instincts que de ne pas condam- ner de telles compétitions. Nombreux sont les Guadeloupéens et Guadeloupéennes qui ne ren- trent pas dans cette dynamique sexiste et de débauche sexuelle, et qui sont fort préoccupés par la santé de leurs compatriotes obèses, qu’ils respectent et qu’ils aiment, mais qu’ils encouragent à observer les recommandations du monde médical pour prévenir les nom- breuses complications potentielles qui les menacent : diabète de type 3; hypertension artérielle ; athéros- clérose, maladie rénale chronique, syndrome d’apnées du sommeil, arthrose, psoriasis… La liste de ces comorbidités n’est d’ailleurs pas exhaustive.

La médecine nous enseigne que, une perte de poids, même modeste, est bénéfique sur le plan métabolique, cardiovasculaire, res- piratoire et musculo-squelettique. Alors, chères compatriotes obèses, femmes et hommes, à vous de choi- sir avec intelligence, raison, lucidité et responsabilité, mais souffrez que l’on vous dise que cette petite Guadeloupe souffre déjà de tant de maux du point de vue social : la Sécurité sociale, pour laquelle des femmes, comme Gerty Archimède, et des hommes, se sont battus, ne doit pas être mise ainsi à mal par des maladies que l’on aurait pu éviter. Votre santé et votre vie valent mieux que vouloir faire bèbèl.

Enfin, faudra-t-il que ceux qui nous gouvernent jusqu’ici aillent jusqu’à l’adoption également d’une loi, pour au moins règle- menter ces concours, à l’instar du mannequinat ?