Protégés par le couvre-feu imposé par le coronavirus, nos «chers cabris et crabes», sauvés à Pâques

Ainsi se renouvelle, chaque année, depuis quelques décen- nies, la fête de certains ani- maux. De succès en succès, elle attire chaque année des milliers de touristes et de Guadeloupéens, le week-end de Pâques, à La Désirade pour la Fèt a kabrit (fête du cabri), à Morne-à-l’Eau pour la Fèt a krab (fête du crabe). Des mani- festations qu’il convient d’en- courager avec d’autres, compte tenu de leur impact dans l’éco- nomie de l’archipel.

Au fil des ans, pour leur plus grand malheur mais le plus grand bon- heur de l’homme, d’autres animaux sont élus pour monter sur l’autel de sacrifices : le balaou à Gourbeyre par exemple, même si leur date d’expiation ne coïncide pas avec celle du crucifié sur la croix, il y a plus de 2 000 ans. Qu’importe ! Il n’y a pas lieu de commémorer chaque année leur disparition mais de renouveler de façon toujours plu grandiose cette festivité qui consti- tue un véritable patrimoine de la Guadeloupe, grâce à la créativité, à l’abnégation de certains de nos compatriotes, parmi lesquels, le sociologue-historien Franck Garain. Vertébrés ou invertébrés, mam- mifères, crustacés ou poissons, peut-être bientôt, mollusques, aucune espèce ne sera épargnée pour satisfaire nos goûts de la bonne cuisine et notre appétit dans le domaine culinaire.

Au-delà de cette volonté d’innover pour donner du souffle à une éco- nomie plus que chancelante et qui le sera encore davantage à l’issue de cette crise de coronavirus, ne convient-il pas d’apprécier aussi le caractère hypocrite et cynique du geste de l’homme vis-à-vis des sup- pliciés ? Pour le moment, ils ne sur- vivent en effet que par leur instinct animal, subissant, sans pitié, la loi de domination des prédateurs humains, en toute intelligence.

Cette expression péjorative, «fèt a krab», nous renvoie à une pratique ancestrale. Les septuagénaires se rappellent que pour sanctionner la mauvaise conduite des «ti-moun dévègondé», les parents prévenaient : «An kay fè fétaw»(«Je vais faire ta fête», ce qui consistait à administrer une bonne fessée, selon l’âge, pour que : Plus jamais ça ! Et ce défi pou- vait être lancé également entre deux protagonistes pour régler, aux poings, un différend.

QUELLE HYPOCRISIE, QUEL CYNISME QUE DE PRÉTEX- TER FÊTER CES ANIMAUX PAR UN ACTE SI FUNESTE !

Alors, il a bien raison le crabe quand il déclare par la voix du musicien Anzala ! «A si latè pa ni plézi, sé an ba latè ki ni plézi». Quel contraste avec la fête de l’homme qui, lui, depuis le péché d’Adam, a chanté tout le contraire : «An ba latè pa ni plézi, sé a si latè ki ni plézi, avan mwen mò, lésé mwen anmizé mwen…». Tout ce qui peut le réga- ler est exploité, sans modération, oubliant même que : «Nous n"héri- tons pas de la terre de nos parents, nous l"empruntons à nos enfants».(Antoine de Saint-Exupéry).

D’ailleurs, depuis que la société civi- lisée a vu le jour, la législation inter- dit toute violence, verbale ou phy- sique, entre les hommes. Le plaisir nous revient donc de célébrer nos anniversaires dans la plus grande et parfaite allégresse possible.

Alors, pourquoi ne pas reproduire ce contexte de fête non-agressive, quand il s’agit de fêter ces animaux qui ne demandent rien ? Pourquoi ne pas, au contraire, s’abstenir de les consommer, au moins par ce concept la «Fête du cabri, la fête du crabe, la fête du balaou», pour leur permettre d’assurer leur descen- dance, encore dans notre intérêt, surtout quand ils sont menacés de disparition et que la législation tarde à les protéger ? Nous pleurons depuis longtemps la quasi dispari- tion de nos palourdes et burgots. Ce n’est certes pas inciter à devenir véganiste, ni à faire acte d’adhésion aveugle à la Société protectrice des animaux (SPA). C’est seulement faire un acte volontaire et responsa- ble, si modeste soit-il, de protection de notre biodiversité, car nous voyons venir le temps des «Fèt a lanbi», «Fèt a langoust», «Fèt a toutwèl». Fort heureusement, ceux-ci sont déjà protégés. Nous imaginons les crabes, les cabris et les balaous sautillant ou nageant d’allégresse cette année, pour cause de coronavirus.

Alors oui, encourageons néan- moins ces festivals. Félicitations aux organisateurs, même s’il reste à inventer une appellation plus en adéquation avec l’amour que nous avons pour notre biodiver- sité. Attention cependant ! Ce n’est qu’un plaidoyer teinté d’hu- mour pour contribuer à les péren- niser et protéger notre Planète et sa biodiversité. Nous avons, dans cet esprit, laissé à notre compa- triote Franck Garain le soin de l’antithèse, par une interview.