La coopération médicale avec Cuba menacerait-t-elle des intérêts en Guadeloupe ?

Dans le précédent numéro de ce journal, nous avons publié un article titré : «Bientôt des médecins cubains en Guadeloupe ?». Notre interrogation prenait en compte plusieurs facteurs reconnus par les professionnels de la santé et des responsables politiques :

- La situation sanitaire en Guadeloupe, confrontée au virus Covid-19.

- La tension dans les services de soins hospitaliers avec les risques de décrochage d’un personnel depuis longtemps en surcharge de travail

- La publication du décret issu de la loi de juillet 2019 ouvrant la possibi- lité de recruter des médecins à diplômes étrangers.

- La lecture de la carte médicale qui montre un manque criant de médecins généralistes et parti- culièrement de spécialistes en Guadeloupe.

A la publication de ce décret, qui concerne certes les médecins de tous les pays, le bon sens inclinait à penser que la coopération serait plus profitable avec du personnel médical provenant de notre zone géographique.

Voilà pourquoi, compte-tenu des performances reconnues du sys- tème de santé cubain et des rela- tions entretenues depuis de longues années avec ce pays frère, nous avons naturellement pensé que nos responsables de la santé : l’ARS, le CHU, l’ordre des médecins et aussi les collectivités locales allaient se saisir de cette opportu- nité pour aider, dans le court et le plus long terme, notre système de santé àaméliorer ses capacités d’intervention.

Depuis la sortie de ce décret, on a l’impression d’une sorte d’omerta. On n’entend plus parler de cette question dans les milieux autorisés.

Tout se passe comme si, tous les problèmes qui faisaient l’actua- lité des services de santé en Guadeloupe s’étaient subite- ment résolus.

LA MARTINIQUE MOBILISEEPOUR COOPERER AVEC CUBA

Dès la publication du décret, le président de la CTM, Alfred Marie-Jeanne a pris des initia- tives pour rendre possible cette coopération. Après avoir saisi le Président de la République fran- çaise à Paris de son intention de solliciter la venue de médecins cubains en Martinique, il a ren- contré en tête à tête le préfet pour que cette demande soit, conformé- ment aux prescriptions du décret, formalisée officiellement aux auto- rités cubaines par l’ARS. Ces trois instances dans un partenariat res- ponsable se sont mises au travail pour présenter une demande bien ciblée préparée avec le CHU de la Martinique et la clinique Saint-Paul de Fort-de-France.

Dans une dépêche publiée le 23 avril par «APM news», Jérôme Viguier, directeur de l’ARS Marti- nique, a annoncé que le CHU de la Martinique et la clinique Saint- Paul devraient accueillir à la fin avril seize médecins cubains. Ils ont été sélectionnés sur la base des besoins exprimés par les hôpi- taux concernés.

La Collectivité territoriale marti- niquaise a joué pleinement son rôle dans la signature du proto- cole en prenant à charge toute la partie logistique :

- Le transport aérien de la brigade de Cuba à la Martinique.

- L’hébergement et le transport intérieur.

- La rémunération du personnel cubain sur la base de 100 euros mensuel par médecin.

Monsieur Viguier a apporté les pré- cisions suivantes : - Un travail a été engagé «de façon à pouvoir faire venir des renforts pour des spécialités sur lesquelles on anticipait des ten- sions à l’occasion de la crise : la pneumologie, la médecine poly- valente, l’infectiologie, la réani- mation anesthésiste, la radiolo- gie, la néphrologie, la médecine d’urgence…

- Mais l’objectif est aussi d’initier la capacité à avoir des médecins pour des spécialités clairement en tension, sur lesquelles les établissements n’arrivent pas à recruter. En dehors du cadre de l’urgence, il s’agit donc «d’une pre- mière étape», qui devrait s’inscrire dans un deuxième temps dans un schéma plus complet.

La stratégie des autorités françaises et de la Collectivité territoriale mar- tiniquaise est clairement affirmée. La Martinique s’engage sans ambi- güité dans une coopération médi- cale bien balisée avec Cuba.

LA GUADELOUPE FAITDANS LA DIVERSION

Nous savons bien que la Guade- loupe n’est pas la Martinique. Mais il y a tout de même beaucoup de similitudes en termes de dévelop- pement, de besoins en santé publique, d’ingénierie, etc. Sur- tout, nous baignons côte à côte dans ce bassin Caraïbe à plus de 7000 km de Paris et un peu moins de 4000 km de La Havane.

Pourquoi ce qui a été possible en Martinique avec Cuba pour garan- tir les besoins de soins de la popu- lation, n’est toujours pas à l’ordre du jour en Guadeloupe ?

Des informations que nous avons pu recueillir, il ressort que l’ARS Guadeloupe a une toute autre stratégie que son homologue. Il faut toutefois reconnaître que nous sommes en Martinique dans le cadre d’une Collectivité unique avec un président, Alfred Marie- Jeanne, qui se positionne comme un leader national, ne prenant pas ses ordres à Paris.

▲P our commencer, l’ARS semble avoir une approche bien particu- lière pour ne pas dire partisane dans la façon d’appliquer le décret de recrutement de médecins é trangers. Elle prend bien soin de préciser que ce décret n’est pas exclusivement dédié aux médecins c ubainsmais à tous les praticiens à diplôme étranger. Ça on le sait, mais tout le monde sait aussi, à moins de se placer sur une position anti cubaine, que les meilleurs médecins qui se trouvent dans notre bassin de vie, ce sont les Cubains.

Ensuite, l’ARS évoque le fait que peu de besoins ont été identifiés par les établissements hospitaliers à ce stade, en se retranchant derrière l’arrivée d’une certaine réserve sani- taire et à la stabilité de la situation épidémiologique.

Cette approche ne nous semble pas très nette. Voilà un CHU qui bien avant le Covid-19 était déjà dans un lourd déficit de médecins spécialistes, dont les équipes tra- vaillaient en permanence à flux tendus et souvent en formation réduite ; Le directeur du CHU, lui- même, avouait manquer de méde- cins à certains postes et avoir du mal à recruter des médecins de h autes qualifications. Comment en pleine crise du Covid-19 a t’on résolu cette question. Surtout, que l ’on ne vienne pas nous dire que la réserve sanitaire composée de retraités, de stagiaires, d’étudiants v a pouvoir en cas d’un retour bru- tal de la situation, faire face.

POURQUOI LES ÉTABLISSEMENTSHOSPITALIERS N’ONT PAS FOR- MULÉ DE BESOINS ?

Il semble que des candidatures spontanées de praticiens étrangers via des réseaux des médecins ont été reçues à l’ARS. Sur quelles fiches de postes ont-ils postulés compte tenu du fait que les établissements hospitaliers n’ont pas, d’après les informations en notre possession, formulé de besoins.

Une question mérite d’être posée : il y aurait-il une cellule occulte de praticiens installés en Guadeloupe avec le comportement de méde- cins sous les cocotiers qui mobili- sent, en collaboration avec des locaux, leurs réseaux pour torpil- ler toute ouverture en direction de Cuba afin de préserver leurs p ratiques et leurs affaires ?

Cette hypothèse ne relève pas de l a chasse aux complotistes. Car, l’ARS elle-même, confirme sa franche réserve d’entrer en rela- tion directe avec Cuba. Parlant de fiches de postes restantes, on ne comprend pas trop ce que ça veut dire, l’agence précise qu’elle va les communiquer à l’ambassade de France dans les Antilles, pas à l’Ambassade de France à Cuba.

Qu’est-ce qui peut nous empê- cher de penser qu’il y a une stra- tégie de refus de la coopération médicale avec Cuba ? Est-ce le choix stratégique de la directrice de l’ARS ou est-elle sous l’in- fluence d’un lobby de praticiens que nous avons pointé ?

Sur cette question de la coopéra- tion médicale avec Cuba on n’a toujours pas entendu les élus gua- deloupéens en soutien au séna- teur Dominique Théophile.