Démonter le racisme systémique aux USA

UNE TÂCHE DE GRANDE AMPLEUR

Les foules qui manifestent aujourd’hui aux USA sont en train de donner corps à une nouvelle étape dans la lutte pour l’égalité réelle. Ce mouvement a déjà des racines solides à travers l’activisme qui a pris naissance autour du slo- gan «Black Lives Matter». De l’avis de nombreux observateurs sa base est sensiblement plus large, sociolo- giquement et géographiquement, que celle qui prévalait à l’époque de Martin Luther King et du combat pour les droits civiques.

UN IMMENSE CHANTIER DE RÉFORMES

Cette nouvelle génération de mili- tants pour l’égalité raciale, dans tous les domaines, a devant elle un énorme chantier. Il est en grande partie déjà bien balisé. Mais les résis- tances considérables au change- ment donnent la mesure de la tâche à accomplir lorsque l’on songe, par exemple, que Barak Obama n’a pas réussi à modifier le poids de la NRA (National Riffle Association) sur la question des ventes d’armes. Parmi tous aspects de la société qui illustrent ce racisme systémique deux doivent absolument faire l’ob- jet de réformes urgentes et déci- sives, pour engager un profond changement.

LES LOIS SÉCURITAIRES ET LES INTÉRÊTS PRIVÉS

Le premier concerne la question des lois sécuritaires et de leur rap- port étroit avec les intérêts privés. L’exemple de l’ALEC (American Legislative Exhange Council, asso- ciation fondée en 1973) est très éclairant. Cette organisation re- groupe des politiques (républi- cains) et des représentants du sec- teur privé, comme Walmart, Mac Donald’s, Apple, Amazon etc. C’est grâce à l’ALEC que certaines lois sont élaborées puis proposées clés en main aux hommes politiques, qui n’ont alors plus qu’à les faire voter. L’ALEC, par exemple, a écrit la loi dite «Stand Your Ground» en 2005. Cette loi autorise n’importe qui à agir à la place de la police pour tirer sur quelqu’un dont le comporte- ment paraît suspect, dans l’es- pace public. C’est un change- ment majeur dans la notion de légitime défense qui a des consé- quences dramatiques, et dont sont victimes dans une propor- tion considérable les Afro-améri- cains. Une fois votée la loi a impulsé une croissance très notable des ventes d’armes aux USA. Le pre- mier vendeur d’armes américain (et premier vendeur de munitions du monde !) est Walmart, membre de l’association ALEC comme on l’a vu. Sans commentaire.

LE SYSTÈME CARCÉRAL ET L’ESCLAVAGE

Le deuxième problème de grande ampleur dans l’agenda des réfor- mes urgentes concerne le système carcéral, dont une part importante est aux mains du privé. Cette priva- tisation des prisons est exemplaire du maintien de tout un système inchangé depuis la fin du XIX ème siè- cle. En effet en donnant au système carcéral une fonction dans l’écono- mie, le capitalisme a prolongé l’es- clavage en plein XXI ème siècle, non pas allusivement ou de façon détournée, mais réellement. En effet, en faisant travailler quasiment gratuitement les détenus, qui sont par ailleurs privés de droits civiques, le système pénitentiaire s’appuie ouvertement sur le treizième amendement de la Constitution, adopté à la fin de la guerre de Sécession, qui déclare l’esclavage aboli sauf pour les détenus. Rappelons que le salaire moyen d’un détenu américain était de 86 centimes de l’heure en 2017. Au Texas un détenu qui refuse de tra- vailler est mis à l’isolement 24h sur 24 sans affaires personnelles. Tout le monde connaît, par ailleurs, la sur- représentation des Afroaméricains dans la population carcérale (en 2004 ils représentaient 50% des pri- sonniers, aujourd’hui leur nombre est environ 38%, pour une propor- tion de 13% d’Afroaméricains). On considère aujourd’hui qu’un Afro- américain sur 3 fera un séjour en pri- son, dans le cours de sa vie. Dans sa réalité l’esclavage perdure.

UN PROJET ANTICAPITALISME POUR TOURNER LE DOS À LA SITUATION PRÉSENTE

Il y a un racisme institutionnel aux USA personne n’en doute une seconde, mais le lien n’est pas tou- jours fait entre cet aspect de la société américaine et le capitalisme. Ce racisme date de l’esclavage comme le démontra, en 1944, le tri- nidadien Eric Williams dans un ouvrage déjà classique, Capitalisme et esclavage. Lutter contre le racisme aujourd’hui, en démonter la mécanique institutionnelle c’est lut- ter contre le capitalisme et ses conséquences humaines. Ce n’est pas un hasard si toutes les réformes fondamentales, sur la sécurité, la justice, les prisons, sont dans le projet que proposait Bernie Sanders, le candidat le plus socialiste que le pays ait jamais connu à ce niveau de popularité. On ne sait pas encore quelle proportion de ce pro- gramme se retrouvera dans le pro- jet démocrate pour les élections de novembre 2020, mais il est dors et déjà certain que ce projet a suscité l’adhésion de nombreux jeunes Américains, et laissent espérer que ces réformes tant attendues vien- dront enfin rompre le calvaire de la communauté noire américaine dans un pays aux structures si pro- fondément marquée par la discrimi- nation et la violence. Il s’agit bien aujourd’hui de changer la vie en changeant les fondements même de l’économie et ce au coeur du capitalisme mondial.