«Take a knee» : Origine et limite d’un symbole

En août 2016 le joueur de foot- ball américain Colin Kaepernick s’agenouille, genou gauche à terre, pendant l’hymne améri- cain d’avant un match. À tra- vers son geste il veut dénoncer les violences policières contre les Noirs et l’impunité de ceux qui la pratiquent. L’image fait le tour du monde. La fureur des conser- vateurs sera aussi au rendez- vous. Tout en l’insultant, Trump, élu président, dira l’année sui- vante que Kaepernick devrait être viré. C’est ce qui se passera concrètement et depuis le joueur n’a pas retrouvé de club.

UN GESTE CONSENSUEL

Le courage de ce joueur, d’origine métis, fait écho au mouvement Black Lives Matter («la vie des Noirs compte») né en 2013 après la mort tragique de Trayvon Martin l’année précédente, abattu par un vigile qui a été acquitté à la suite de ce meur- tre. Et lors des immenses manifes- tations qui ont suivi l’assassinat de George Floyd de très nombreux manifestants ont utilisé cet age- nouillement comme signe de rallie- ment. Celui-ci a, dans certains cas, été imité par des membres des forces de la police, par des représen- tants démocrates au Congrès et même par le très probable candidat démocrate aux présidentielles de novembre, Joe Biden.

UN SYMBOLE QUI S’APPUIE SUR L’HISTOIRE

La force de ce symbole tient d’abord à son origine, telle que l’a voulu son instigateur Kaepernick. En effet après s’être contenté dans un premier temps de rester assis pendant l’hymne national le joueur s’est vu reproché son manque de respect pour un hymne et un dra- peau, au nom duquel nombre d’Américains, noirs et blancs, se sont battus. Sur les conseils d’un ancien militaire, il a donc choisi cet agenouillement utilisé dans l’armée pour honorer les morts (pendant que l’hymne américain est joué). De fait ce geste a rapidement pris un tour consensuel et par les suites des dizaines de joueurs de football américain, mais aussi d’autres sports, l’ont pratiqué. Mais ce geste symbolique a aussi une autre connotation qui télescope l’actua- lité. En effet c’est un des gestes célèbres de Martin Luther King qui s’agenouillait de cette façon en pleine rue lors des grandes manifes- tations pour les droits civiques, comme il le fit à Selma en 1965. Mais c’est aussi, par un raccourci très fort, le même geste pratiqué par le policier Derek Chauvin en train de tuer George Floyd. C’est donc un geste symbolique très fort qui est maintenant uti- lisé dans le monde entier, mais il ne faut pas s’y méprendre, ce symbole, comme d’autre, peut être détourné et ne déboucher sur rien de concret.

RÉCUPÉRATION

On verra une illustration de cela dans le geste récent du président de la banque JP Morgan, s’agenouillant comme tout le monde. Or il est le PDG d’une banque qui a été condamnée en 2017, à 55 millions de dollars (en fait à la suite d’un accord et non d’une véritable condamnation comme souvent aux USA) pour avoir autour de la crise de 2008 pratiqué des taux d’inté- rêts plus élevés pour les Noirs que pour les Blancs. Difficile d’appeler le geste de ce PDG autrement que par son nom, du cinéma. On pourrait ajouter à ce geste les déclarations du PDG de Blackrock dirigeant une société actionnaire important de prisons américaines. L’antiracisme est «tendance», comme on dit, chez les dirigeants capitalistes bien- pensants, probablement parce que cela ne leur coûte pas un sou et que cela leur donne une image publique politiquement correcte dans la période actuelle.

COMBATTRE LE SYSTÈME QUIENGENDRE LE RACISME

Il faut être vigilant. Dans une inter- view récente, Angela Davis inter- pelle sur les dangers de revoir aujourd’hui des réformes en trompe l’oeil comme celles qui ont suivi, par le passé, les grands mouvements des années 60 et 70. De la même façon les déclarations de John Carlos, faites il y a deux ans, sont à méditer. À la question de savoir ce qui avait changé pour les droits civiques des Noirs aux USA, depuis son poing levé à Mexico, il répondit : «En cinquante ans un escargot a fait plus de chemin».

Il s’agit bien de combattre le racisme institutionnel aux USA et dans les anciennes grandes puissances colo- niales, en ne perdant pas de vue sa fonction économique, celle d’ex- ploiter et de diviser ceux qui en sont les victimes. Pour cela un symbole, si fort, soit-il n’est que le tout pre- mier pas d’une longue marche.