Le dossier des réparations aux USA

La question des réparations de l’esclavage subi par les Afro- Américains est présente dans l’histoire américaine depuis la fin de la guerre de Sécession. Effet, depuis cette époque, un certain nombre de terres du Sud sont promises aux anciens esclaves sur la base de 40 acres (soit environ 16 hectares) et d’une mule. Cette promesse ne sera jamais honorée car, annulée par le successeur de Lincoln. Depuis, la question des réparations n’a jamais été posée officiellement par l’État américain.

UNE HISTOIRE QUI AVANCE TRÈS LENTEMENT

Et pourtant, d’autres groupes ou peuples, ont bénéficié de procédure de réparation, comme par exemple les Américano-Japonais en 1988, sous Reagan, ou encore les Amérindiens (les dits «Native Americans»), en 2014, sous Barak Obama. En ce qui concerne l’escla- vage, certaines sociétés privées ont, de leur côté, créé des fonds de répa- rations, comme la Chase Man-hat- tan Bank, qui consacre 5 millions de dollars annuellement pour des bourses réservées aux étudiants afro-américains de Louisiane. Mais, il n’y a jamais eu de politique fédé- rale amorçant une véritable et pro- fonde révision de l’histoire de l’es- clavage aux USA.

UNE QUESTION POLITIQUE

En politique, Jesse Jackson a inclus la question des réparations dans son programme au moment des pri- maires démocrates, en 1984 et 1988. Et depuis 1989 un député démocrate afro-américain, John Conyers, dépose chaque année un projet de loi sur les réparations, la loi HA40 (en référence aux 40 acres promis au XIX ème siècle). Ce projet n’a jamais été examiné par le Congrès. Bien plus, ni Barak Obama, ni Hillary Clinton, ni Bernie Sanders n’ont intégré un projet de loi sur les réparations dans leur programme.

De fait cette question divise même les démocrates. Le terme même de réparation est questionné, car l’es- clavage pratiqué aux Amériques, pendant des centaines d’années, a causé, et cause encore, des dégâts réellement irréparables sur les peuples, les cultures et les individus. De fait, sur cette ques- tion, un ambitieux fond fédéral ciblé en direction des Afro- Américains semble actuellement la position la plus réaliste. Mais, der- rière la question des réparations, la demande fondamentale des Afro- Américains est celle de la mémoire et de la reconnaissance de l’histoire réelle. Reconnaissance qui doit être faire de la façon la plus solennelle, et au plus haut niveau, pour s’inscrire dans l’histoire nationale.

LES CONSCIENCES S’ÉVEILLENT

Cette histoire éclate de toute part comme l’ont montré des dizaines d’ouvrages, d’articles ou de docu- mentaires (par exemple Le 13 ème d’Ava Duvernay, ou I’m Not Your Negrode Raoul Peck disponibles actuellement sur Netflix). Un article assez récent, écrit en 2014 dans un journal de gauche (The Atlantic), par le journaliste et écrivain Ta Nehisi Coates démontait le méca- nisme raciste par lequel un orga- nisme fédéral (la Federal Housing Administration) avait catalogué, entre les années 50 et 70, les zones de Chicago en fonction de la pré- sence de Noirs, avec les consé- quences que l’on imagine sur les taux d’intérêt de l’immobilier (plus élevé dans les zones «sans risques» c’est-à-dire blanche). Cette poli- tique d’apartheid immobilier, relati- vement inconnue des habitants eux-mêmes, montre à quel point le racisme systémique a imprégné toute la société et l’État américain et laisse soupçonner encore quan- tité de zones d’ombre. Et à chaque fois, comme on pouvait s’y atten- dre, la question raciale est couplée aux questions économiques, car c’est de là qu’elle prend sa source.

DES MOTIFS D’ESPOIR

Dans ce combat pour la justice et l’histoire, plusieurs faits récents atti- rent l’attention. Le premier est l’au- dition par le Congrès américain, en juin 2019, d’un certain nombre de grands témoins pour évoquer publi- quement la question des répara- tions. Du jamais vu ! Aujourd’hui, des dizaines de membres démo- crates du Congrès, dont la prési- dente Nancy Pelosi se sont ralliés à la nécessité de poser le problème des réparations. Signe des temps dans la campagne des primaires démocrates, onze candidats à l’in- vestiture ont rejoint cette position. Joe Biden est maintenant seul en course et il serait douteux, compte tenu du contexte, que la question des réparations ne figure pas, d’une façon ou d’une autre, dans son pro- gramme. En effet, Elizabeth Warren, Kamala Harris et Cory Booker qui lui ont apporté leur sou- tien, avaient tous abordé la question des réparations.

Une autre grande nouveauté de la situation, enfin, se trouve dans l’électorat démocrate blanc, avec la prise de conscience, par une partie importante de l’opinion publique, que l’histoire de l’esclavage, déniée jusqu’ici par les Blancs américains, est aussi leur histoire. Quelle que soit la difficulté qu’il y a pour eux à la regarder en face, il paraît difficile, cette fois-ci, de revenir en arrière.