La France doit rembourserà Haïti la rançon payée pour son indépendance

LA DETTE D’HAÏTI EST D’ACTUALITÉ

211 ans (!) c’est le temps qu’il a fallu à la France pour qu’un président fasse un voyage officiel en Haïti. Mais cette première visite officielle, le 12 mai 2015, est marquée par un faux pas diplomatique significatif. Deux jours plus tôt, en Guadeloupe, François Hollande déclare : «Quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons», suscitant surprise et espoir. Puis il se ravise, en Haïti, en expliquant qu’il avait été mal compris et qu’il s’agit de dette morale. Dossier mal pré- paré ? Ignorance personnelle de l’histoire entre Haïti et la France, et méconnaissance de la réalité de cette dette ? Le Président haïtien Michel Martelly n’a pas hésité à venir au secours du Président fran- çais en déclarant qu’«aucun mar- chandage, aucune compensation ne peut retaper les accrocs de l’his- toire qui nous marquent si profon- dément encore aujourd’hui». Mais venant d’un président corrompu, et que l’on sait aujourd’hui impli- qué dans le monumental scandale Petrocaribe, cette dernière décla- ration n’a aucun poids.

UNE RANÇON CONTRE L’INDÉPENDANCE

Les données sont simples et bien connues. La reconnaissance d’Haïti par la France s’est faite plus de vingt ans après l’indépendance en 1825, et a été assortie d’un dédommage- ment des propriétaires français par l’Etat haïtien. Dédommagement demandé par la France, soit dit en passant, avec navires de guerre français à l’appui dans la rade de Port-au-Prince ! Le montant est astronomique surtout pour un Etat affaibli, et mis au bandes nations, comme l’était Haïti. Ce montant sera réduit par la suite mais Haïti, qui devra emprunter (à des banques françaises !) sur une très longue durée pour pouvoir acquitter cette véritable rançon, finira de payer les agios en 1946. L’estimation de ce que Haïti a payé à la France est éva- luée, aujourd’hui, à l’équivalent de 17 milliards d’euros, soit environ deux années de l’actuel PIB de Haïti.

Ce qui s’est passé avec Haïti rappelle que dans la Caraïbe, les puissances coloniales ont agi de même vis-à-vis des anciens propriétaires d’esclaves. La France, en effet, a dédommagé les planteurs de Guadeloupe et Martinique après l’abolition de 1848, et les Britanniques qui, eux, ont aboli l’esclavage en 1833 ont versé aux anciens propriétaires d’es- claves une somme considérable (40% des dépenses annules de l’état) qui ne sera définitivement soldée qu’en 2015 (!), comme on l’a appris récemment. Mais le cas d’Haïti reste unique car, non seule- ment les esclaves de la colonie ont travaillé gratuitement au profit des maîtres pendant plus de cent ans mais tout se passe comme si l’état haïtien avait purement et simple- ment racheté ses propres habitants à la puissance coloniale.

LES SÉQUELLES DELA COLONISATION

En fait cette dette d’Haïti est incluse dans un ensemble historique plus vaste. La richesse de la colonie fran- çaise, appelée alors Saint-Domin- gue, était, à la fin du XVIII ème , sans commune mesure. La moitié du sucre et les trois quart du café consommés en Europe venaient de Saint-Domingue et, à Bordeaux, Nantes ou Paris, l’exploitation escla- vagiste a rendu riche plus d’un négociant, d’un négrier ou d’un pro- priétaire de sucrerie. Mais, outre les dégâts humains, cette richesse obtenue par une surexploitation agricole a appauvri les sols dès le XVIII è me siècle, avec toutes les consé- quences que l’on connaît aujour- d’hui. En réalité la France doit beaucoup à Haïti, comme à tou- tes ses colonies, et elle ne serait pas le pays qu’elle est sans le pil- lage colonial (en Haïti et ailleurs). Toute cette histoire est en géné- ral complètement ignorée, ou minimisée, du côté français.

LA FRANCE DOIT RECONNAÎTRESON HISTOIRE HAÏTIENNE

De nombreuses voix se sont déjà élevées pour affirmer que la France doit rembourser la dette de Haïti. Le calcul de ce qui doit être rendu a minima est très simple et le chiffre est connu. Certes les souffrances des ancêtres des Haïtiens ne seront effacées par aucun versement si élevé soit-il,mais considérer avec sérieux le remboursement de la dette de Haïti est un premier geste indispensable pour recon- naître la responsabilité de la France dans le crime contre l’hu- manité qui a marqué Haïti.Pour l’instant rien ne bouge et les mots de François Hollande en fournissent la preuve. Dans cette histoire la France vit à crédit, sur le dos des colonisées dont elle ne veut pas entendre la voix. Tant que cela sera le cas elle restera une puissance coloniale refusant de changer la logique de son rapport avec les pays de la région Caraïbe.