Que cherche Erdogan en Libye ?

Pendant que le monde a les yeux sur la crise sanitaire ou économique, le Proche-Orient et l’Afrique du Nord connais- sent des développements très inquiétants qui pourraient bien déboucher sur un conflit régio- nal aux multiples consé- quences. Les dernières nou- velles en provenance de Libye n’incitent pas à l’optimisme.

UNE INTERVENTION OCCIDEN- TALE QUI DÉTRUIT LA LIBYE

On rappellera brièvement que la situation actuelle est une des consé- quences de l’intervention occiden- tale de 2011, dans ce qui était déjà une guerre civile. Cette interven- tion, sous couvert de l’ONU, visait à protéger les civils de Bengazi mais la France et la Grande Bretagne ont dépassé le mandat initial et provo- qué un chaos indescriptible, en fai- sant tomber le régime de Kadhafi. Moins de dix ans plus tard la Libye est partagée en trois zones : une très petite zone autour de Tripoli, tenue par le Gouvernement de l’Union Nationale (GNA) dirigé par Hafez el-Sarraj, une zone beaucoup vaste à l’est (centrée sur Tobrouk), comprenant l’essentiel des champs pétrolifères, tenue par les rebelles de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) dirigée par le général Haftar, et enfin une zone au sud dans laquelle se trouvent de nombreux groupes rebelles, y compris des groupes affiliés à Daesh. La posses- sion des champs pétrolifères les plus riches de toute l’Afrique est un enjeu majeur de cette guerre civile, mais ce n’est pas le seul, car une très importante réserve de gaz se trouve également au large des côtes libyennes.

UNE GUERRE CIVILE QUI S’INTERNATIONALISE

Le plus inquiétant dans la situation actuelle n’est pas la désastreuse situation des populations, c’est l’in- ternationalisation très rapide du conflit. Comme c’est déjà le cas ail- leurs, au Yémen, ou en Syrie, les deux principaux camps en présence (ici le GNA et l’ANL) ont des alliés et des appuis extérieurs. Le GNA est reconnu et soutenu par l’Union Européenne (et de façon plus appuyée par l’Italie), l’ONU, les USA et la Turquie. L’ANL est soutenue par le Qatar, les Émirats Arabes Unis, l"Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie et la Russie. On note que la Russie et la Turquie sont alliées en Syrie mais se trouvent ici face-à- face, soit directement soit par l’in- termédiaire de mercenaires comme c’est le cas pour les Russes qui ont fait appel à une société de merce- naires privée, le Groupe Wagner. Rien n’est simple au Proche Orient.

2020 L’ANNÉE DE TOUS LES DANGERS

Le début de l’année 2020 est tout entier sous le signe de la tension croissante. Le parlement turc auto- rise l’envoi de troupes turques en Libye le 2 janvier. La ville de Syrte, sur la route de Tripoli prise le 6 jan- vier les rebelles se rapprochent de Tripoli, mais les renforts turcs repoussent les rebelles. Aujourd’hui les troupes du GNA appuyées par les Turcs sont en passe de reprendre cette même ville de Syrte, qualifiée par l’Égypte de ligne rouge. Le 20 juillet le parlement égyptien approuve le principe d’une inter- vention militaire hors des frontières pour défendre la sécurité nationale. Un conflit ouvert impliquant les Turcs et les Égyptiens n’a jamais été aussi proche.

Erdogan face à l’Histoire

Que cherche Erdogan ? La répres- sion contre la presse et de façon générale contre toutes les forces démocratiques, la politique san- glante contre le peuple kurde sont l’oeuvre d’un dictateur. C’est en même temps un dirigeant ultra- nationaliste sur fond religieux, comme le montre aujourd’hui la décision symbolique très parlante de récupérer la basilique Sainte- Sophie pour le culte musulman, tournant ainsi le dos à la politique laïque de l’état turc de puis les années 1920. Les références à l’empire ottoman et à sa puis- sance sont par ailleurs devenues habituelles dans ses discours, comme par exemple l’évocation de Barberousse, le corsaire le plus célè- bre de l’époque de Soliman le Magnifique au XV I ème siècle. Où s’ar- rêtera Erdogan ? L’aventure libyenne, si elle devait déboucher sur un conflit ouvert, ne serait que la confirmation de la catastrophique fuite en avant d’un homme et d’un régime, qui rajouterait encore des souffrances et de la douleur à celles des peuples de la région. L’histoire jugera très durement un tel person- nage et une telle politique.