Danièle Obono : Victime du racisme du magazineValeurs actuelles

En choisissant de consacrer une de ses fictions historiques à la députée Danièle Obono, le magazine Valeurs actuelles a montré, à qui l’ignorait, son vrai visage, celui d’une publication d’extrême droite, raciste et colonialiste. Journalistes, personnalités du monde culturel et artistique, de la société civile, élus, parlemen- taires, membres du gouverne- ment jusqu’au Président de la République Emmanuel Macron, ont condamné cette publication et apporté leur soutien à la députée. Le rappel des faits.

UN TEXTE QUI DÉGOULINE DE RACISME

Au cours des mois de juillet et août 2020, Valeurs actuelles choi- sit de plonger dans le passé, des personnalités publiques d’au- jourd’hui pour qu’elles décou- vrent «une réalité qu’[elles] ne pouvaient soupçonner», selon les propres termes du journal.

On trouve ainsi, successivement, François Fillon, Eric Zemmour (élu par ailleurs «Homme de l’année» par ce magazine, c’est tout dire !) et Eric Raoult dans des époques plus ou moins anciennes, comme la Révolution française, la bataille de Waterloo ou la première guerre mondiale. Lorsque le choix se porte sur la députée de la France Insou- mise, Danièle Obono, femme noire d’origine gabonnaise, Valeurs actuellessous-titre sa fiction «Où la députée insoumise expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage».

S’ensuit un texte où se mêlent les clichés les plus éculés de l’image coloniale et raciste de l’Afrique, aux déformations les plus perverses de la réalité, comme la conclusion de cette fiction, avec le sauvetage de l’esclave Danièle Obono par un mis- sionnaire blanc qui l’achète, l’affran- chit et l’emmène en Europe où elle est accueillie dans un couvent

. En somme, ce sont les Africains, les esclavagistes et les Européens, les libérateurs des esclaves. C’est exac- tement la vision que les hommes du 17 ème et du 18 ème siècles avaient, sans aller jusqu’à abolir l’esclavage bien sûr, et c’est, dit-on, ce qui, au 17 ème siècle, décida Louis XIII à auto- riser l’esclavage colonial, bien supé- rieur, d’après lui, à l’esclavage afri- cain car, aux Antilles, les esclaves étaient baptisés, et donc sauvés !

MALHONNÊTETÉ INTELLEC- TUELLE ET IGNORANCE. QU’ON EN JUGE PLUTÔT !

Toute la classe politique française a protesté, avec indignation, contreValeurs actuelles, non sans hypocri- sie, comme Emmanuel Macron qui n’avait pas refusé pourtant d’être interviewé, un an plus tôt, par ce même journal. Ce texte ignoble appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, il est l’oeuvre d’un faus- saire. Qu’on en juge plutôt !

Il évoque, en effet, Christiane Taubira qui avait osé citer Léon Gontran Damas lors du débat sur le «mariage pour tous» : «Jamais le Blanc ne sera nègre/Car la beauté est nègre/et nègre la sagesse/Car l’endurance est nègre/et nègre le courage». Or, voici la véritable cita- tion de Damas, faite par Christiane Taubira, le 29 janvier 2013, en saluant le projet de loi sur le «mariage pour tous» : «l’acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales». Outre la malhon- nêteté intellectuelle de l’auteur de l’article, on voit très bien où veut en venir Valeurs actuelles, en utilisant cette citation de Damas qui vient, ici, comme un cheveu sur la soupe et n’a aucun rapport avec le débat parlementaire : les vrais racistes, ce ne sont pas les Blancs ce sont les Noirs ! Mais, l’auteur de l’article démontre, par la même occasion, qu’il n’a rien compris à sa propre citation, car l’objectif de Damas, dans ce poème, est de retourner à la face des racistes, en inversant les termes blanc et nègre, tout ce qui a été dit et redit par le racisme occi- dental. Car, à l’époque de Damas, un occidental entendait, sans sourciller, une formule comme «Jamais le Nègre ne sera blanc/car la beauté est blanche etc». Et, contrairement à ce que sous-entend le magazine, la négritude, dont Damas est un des fondateurs, est universaliste.

L’Histoire de l’Afrique occultée dans les programmes

D’autre part, le fait même que ce journal d’extrême droite puisse publier un texte aussi choquant nous interpelle sur un autre point. Car, si sa présentation de l’Afrique noire sale et violente est profondé-ment raciste, il met aussi le doigt, indirectement, sur la méconnais- sance générale de l’histoire africaine q ui permet de diffuser, sans trop de risques, de pareilles inepties. Nous sommes tous concernés.

Aujourd’hui, dans le système édu- c atif français, dans les collèges et lycées, par exemple, l’histoire de l’Afrique n’est enseignée que lors- qu’elle est une partie de l’histoire occidentale. L’histoire des royaumes africains, du VIIIème au XVI ème siècle a, toutefois, été ensei- gnée en classe de cinquième pen- dant quelques années, tout récem- ment. Mais, depuis 2017, cette par- tie des programmes nationaux a été supprimée, et l’Afrique n’est présente dans les cours d’histoire que lorsqu’ils traitent de l’esclavage ou de la colonisation. On imagine l’image de l’Afrique que peut en retenir un élève. Il y a là une anoma- lie grave qui traduit une forme de mépris de l’Histoire des autres cul- tures et civilisations, mépris tou- jours bien actif dans une partie de la société française, comme on a déjà pu le vérifier avec le discours de Dakar du Président Nicolas Sarkozy, en 2007. Il déclare, en effet :«L’homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire». Il faut aussi souligner la volonté des parlemen- taires de droite d’introduire dans les programmes scolaires la mention du «rôle positif de la colonisation».

DÉCOLONISER L’HISTOIRE POURLE DROIT DES PEUPLES À LA LIBERTÉ ET À LA DIGNITÉ

Ce déni de l’histoire de l’Afrique est le symbole d’une France colonialiste toujours vivante, malgré la décolo- nisation. Valeurs actuellesest l’un de ses porte-paroles et son procédé est classique. Il s’agit de faire entrer dans les têtes qu’il n’y a pas d’his- toire de l’Afrique, pas d’histoire antillaise, pas d’histoire des peuples noirs. Cela fait partie d’une stratégie de domination des esprits, de colo- nisation de l’Histoire, pour mieux légitimer le passé colonial, ou le néo-colonialisme actuel. On pour- rait résumer la situation globale en déformant un peu une célèbre cita- tion attribuée à Mao Ze Dong : «ce sont les peuples du monde entier qui font l’Histoire, ce sont les Occidentaux qui la racontent». (La formule originale est «ce sont les peuples qui font l’Histoire, ce sont les patrons qui la racontent»).

En ce sens, l’affaire Valeurs actuellesest un appel au combat idéolo- gique. Il faut décoloniser l’Histoire. C’est une lutte pour le droit des peuples à la liberté et à la dignité.