L’INCENDIE DU CAMP DE RÉFUGIÉS DE LESBOS : Symbole du cynisme européen

Le 8 septembre 2020, le drama- tique incendie du camp de migrants de Moria, dans l’île grecque de Lesbos, n’a pas seu- lement créé une situation de souffrance considérable pour les quelques 20 000 personnes qui s’y trouvaient et dont la plupart sont maintenant sans abri. Il a aussi mis en évidence le cynisme et l’hypocrisie des autorités européennes.

UNE CATASTROPHE PRÉVISIBLE

Ce camp grec situé à quelques encablures de la Turquie, est une des frontières de l’Union euro- péenne. Il est donc géré, financé, et en partie, administré par l’Europe, qui a délégué à l’un de ses membres la tâche de prendre en charge les procédures d’asile. Cela s’est fait avec un budget conséquent de 2,3 milliards d’euros versés à la Grèce, entre 2015 et 2020.

Or, le moins que l’on puisse dire est que la Grèce fait tout pour ren- dre insupportables les conditions du camp et des autres camps situés sur d’autres îles de la mer Égée. Là où des procédures de demande d’asile rapides et efficaces devraient être mises en place pour des réfugiés qui fuient la guerre en Syrie, au Yemen, en Irak ou au Soudan, les autorités font traîner les dossiers et laissent pourrir les situa- tions. Le camp lui-même est, de l’avis des ONG qui y travaillent, dans un état désastreux. Cette catas- trophe était donc prévisible.

Rien ne saurait mieux symboliser l’attitude révoltante des autorités grecques que ce qui vient d’arriver à l’ONG Médecins Sans Fron- tières. Cette organisation huma- nitaire avait mis en place, depuis le début du mois de mai 2020, un centre dépistage du Covid-19. Le gouvernement grec vient de lui demander de quitter le camp de Moria car elle ne respectait pas les règles de l’urbanisme !

L’HYPOCRISIE HONTEUSEDE L’EUROPE

En réalité, cette attitude grecque est celle d’une bonne partie de l’Europe qui a, dans la réponse au flux de migrants venus du Sud, une attitude inadmissible, foulant aux pieds la solidarité et le devoir d’assistance. Un rappel de certaines dispositions est éloquent. Le règlement de Dublin, datant de 2013, est une véritable usine à gaz aux consé- quences humaines désastreuses. Dans la pratique, il fonctionne comme un mécanisme de refus des demandes d’asile. Un migrant ayant débarqué en Italie ne peut pas demander l’asile en France ! Autre disposition choquante et révélatrice de l’attitude de l’Europe, «l’externa- lisation» de la «défense» des fron- tières européennes.

En signant un accord avec la Tur- quie en 2016, l’Union européenne a fait un marché d’un grand cynisme révélant son hypocrisie honteuse. La Turquie qui a sur son sol un nom- bre très important de réfugiés syriens (environ 3 millions) est solli- citée pour en gérer le maintien chez elle, contre un financement de l’Europe de l’ordre de 6 milliards d’euros, soit presque deux fois plus que la somme allouée à la Grèce, et une promesse de relance de l’adhé- sion de la Turquie à l’Europe.

Dans la pratique la crainte des migrants de se voir refouler vers la Turquie, un pays ne respectant pas les droits de l’homme, a complète- ment réduit les tentatives de pas- sage par la mer entre la Grèce et la Turquie, et les passeurs utilisent d’autres routes aujourd’hui.

NON-RESPECT DES LOISINTERNATIONALES ET REFOULEMENT DES MIGRANTS

Dernier élément à verser au dossier de cette politique honteuse, la four- niture de navires (et la formation d’équipage) à la Libye pour refouler l es migrants au départ de ce pays et pour éviter d’avoir à respecter les lois internationales de sauvetage en m er ! En effet, en vertu des conven- tions internationales, un navire ita- lien ou européen sauvant une embarcation de migrants en Méditerranée est tenu de les faire d ébarquer en lieu sûr, c’est-à-dire précisément pas en Libye.

Or, avec ce système de délégation à la Libye, ces mêmes migrants se retrouvent au point de départ et dis- paraissent souvent, sans laisser de trace. Nous sommes ici dans un crime contre l’humanité. L’attitude de l’Europe se confirme chaque jour. Après le drame de Moria, l’Union européenne a fait le point sur les capacités d’accueil, en ne ciblant que les mineurs non accom- pagnés présents dans le camp. Sur 32 pays consultés (les 28 pays de l’Union européenne plus la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Lichten- stein) dix seulement ont acceptés. Certains, comme l’Autriche, ont d’abord refusé pour finalement donner leur accord devant la répro- bation publique.

Pour de nombreux gouvernants, l’équation est simple. Soit ils ont dans leur majorité des partis d’ex- trême droite xénophobes qu’ils courtisent, soit ils ont dans leur opposition ces même partis dont ils redoutent la montée. Mais une autre politique est possible. Dans cette situation complexe l’humain et la solidarité doivent prévaloir. Des individus se dressent contre cette politique générale

Les conséquences de cette poli- tique sont dramatiques. Entre 2014 et 2020, le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU estime que plus de 20 000 migrants ont perdu la vie en traversant la Méditerranée. Mais des individus se dressent contre cette politique générale, comme le militant Cédric Herrou qui a hébergé des dizaines de migrants à la frontière franco-italienne.

Condamné pour ce qui peut être qualifié de «délit de solidarité», il finit par obtenir son acquittement, après une décision du Conseil Cons- titutionnel. Ou bien encore ces mili- tantes allemandes, Carola Rackete ou Pia Klemp, capitaines de navires humanitaires qui ont sauvé des cen- taines de vies en Méditerranée, mal- gré des poursuites de la justice ita- lienne. Les chiffres parlent d’eux- mêmes. Le bateau de Pia Klemp est censé avoir secouru 14 000 per- sonnes en 2018.La lutte n’est pas un vain mot.