Référendum en Kanaky, Nouvelle-Calédonie

Pour en savoir un peu plus sur le référendum de la Nouvelle-Calédonie du 4 octo- bre 2020, nous avons demandé une analyse à Pierre-Yves Chicot, Maître de Conférence et de Droit public, habilité à diriger des recherches. Avocat au Barreau de Guadeloupe.

Pierre-Yves Chicot :Sur les derniers résultats du référendum en Nouvelle-Ca- lédonie que le peuple, premier de ce territoire, appelle Kanaky, c’est un aspect important, c’est-à- dire la question identitaire.

Un territoire qui était originelle- ment peuplé par une communauté que l’on appelle les Kanaks. Ils ont vu débarquer des gens d’autres continents et qui ont rebaptisé cette terre Nouvelle-Calédonie.

Ne serait-ce qu’au niveau de l’appel- lation de ce territoire, il y a une con- frontation identitaire entre les Ka- naks et ce qu’on appelle les Cal- doches, c’est-à-dire, les Européens qui ont débarqué sur le territoire, et cela signifie aussi qu’il y a eu la con- duite d’une politique coloniale en Nouvelle-Calédonie qui a donné lieu à des heurts souvent violents.

En 1878, c’est le chef Ataï qui est décapité par les forces d’occupation coloniale. Dans les années 1980, on se souvient très bien de la mort d’Eloi Machoro. Il était un militant particulièrement énergique

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LA CONFRONTATION ENTRE L’ORDRE REPUBLICAIN ET L’ORDRE COUTUMIER EST UNE CONSTANTE DE CE TERRITOIRE

En dépit que la Kanaky soit un ter- ritoire de la République, la con- frontation entre l’ordre républi- cain et l’ordre coutumier kanak est une constante de ce territoire situé dans le Pacifique.

La deuxième chose qu’il faut consi- dérer, c’est le fait que la Nouvelle- Calédonie, Kanaky est un territoire français, inscrit dans la Constitution. Ce qu’il faut observer, c’est que, si pendant longtemps la Nouvelle- Calédonie, Kanaky était régie par l’article 74 de la Constitution, c’est-à-dire la spécialité législative comme la Polynésie française, donc cette spécialité législative permet de dire que la loi ne va pas s’appliquer systématiquement.

Il n’y a pas eu l’assimilation légis- lative en Kanaky comme il y a eu l’assimilation législative en Gua- deloupe, en Martinique, en Gu- yane et à La Réunion.

Les idées indépendantistes ont davantage de difficultés à s’instal- ler même si ce n’est pas la seule rai- son. Mais le préalable de l’assimila- tion culturelle, de l’assimilation législative est un élément extrême- ment important pour expliquer en quoi la perméabilité de l’idéologie de l’indépendance en Nouvelle- Calédonie, Kanaky est plutôt envi- sageable et plus difficilement envi- sageable chez nous.

LA NOUVELLE CALEDONIE, KANAKY INSCRITE DANS UN TITRE PARTICULER DE LA CONSTITUTION

Le deuxième temps en termes d’analyse juridique, c’est de dire qu’au final, on a dû inscrire la Nou- velle-Calédonie, Kanaky, dans un titre très particulier de la Constitu- tion, c’est le titre 13.

C’est la seule collectivité qui a un titre à elle seule dans la Constitution française, en raison de ce que nous avons connu avec les Accords de Matignon, les Accords de Nouméa qui ont été les résultats des heurts, en particulier les évènements de la grotte d’Ouvéa. Les Kanaks ont payé le tribut de la mort mais aussi les gendarmes français qui sont morts. François Mitterrand et Michel Rocard avaient

nommé Edgard Pisani afin de rétablir le dia- logue entre les deux communautés et en particulier entre le peuple kanak et le pouvoir républicain. Donc, cette idée d’accession à l’in- dépendance a fait son chemin, même du point de vue du droit, le plus important qui est le droit constitutionnel avec la mise en place du référendum.

La troisième chose, ce sont donc les référendums qui ont été successifs, qui ont été organisés dont le dernier e n date ce dimanche 4 octobre 2020. On s’aperçoit que la volonté de voir la Nouvelle-Calédonie deve- n ir un Etat souverain enregistre une marge que l’on peut considérer comme étant quasi inexorable et d onc, il faut tenter de l’expliquer.

LES INDEPENDANTISTES KANAKONT INVESTI LES POUVOIRS POLITIQUES LOCAUX

Les Kanaks ne conduisent plus la lutte pour l’indépendance, en particulier le Front de libération national kanak socialiste (FLNKS), sur le terrain de la lutte armée, comme cela a pu être le cas dans les années 1980. Ils ont investi lespouvoirs politiques locaux. Les indépen- dantistes kanaks sont devenus des autorités politiques locales. En particulier, le meilleur exem- ple, c’est celui de Wochwanitan qui est le président du Congrès, qui est une institution majeure en Kanaky. Il a été réélu brillamment en juillet 2020 au 1 e r tour. Le Congrès est un organe extrême- ment important en Nouvelle- Calédonie, Kanaky en termes de gestion du territoire.

Ce qui a d’intéressant du point de vue d’ingénierie politique du nou- veau FLNKS, c’est-à-dire pas ce FLNKS d’Eloi Machoro et de Jean- Marie Tjibaou, même si cet aspect de la lutte des Kanaks pour l’éman- cipation a eu son importance puisque l’ordre républicain a dû reconnaître qu’il y avait un passé colonial qui avait eu comme résultat la relégation des Kanaks au second rang de cette société et qu’à la vérité, le principe d’égalité inscrit au coeur de la Constitution française (dernière en date 1958) n’était qu’une égalité abstraite.

Vaille que vaille, les Kanaks ont gagné la confiance des électeurs. Ils contrôlent des provinces, ils contrô- lent des Collectivités territoriales, ce qui leur permet d’avoir de la crédibi- lité. D’ailleurs, ils sont en train depuis des années, de faire l’exer- cice du pouvoir politique.

LES INDEPENDANTISTESSE SONT MONTRES SUFFISAMENT CREDIBLES

Deuxième élément d’explication, si le «oui» progresse en Kanaky, cela veut dire que les indépendantistes qui se sont emparés du pouvoir politique se sont montrés suffisam- ment crédibles pour démontrer à la population certainement, y compris à certains caldoches, qu’il était pos- s ible de gérer ce territoire dans le cadre d’un Etat indépendant.

I l ne faut pas croire, compte tenu de la montée en puissance du «oui» au fur et à mesure des référendums, que ce sont que les Kanaks, comme un seul homme qui v otent et qui est favorable à l’idée de l’indépendance de la Kanaky.

Je trouve en tout cas embléma- tique le discours qui a été tenu par Wochwanitan, lorsqu’il a été réélu président du Congrès où il évoque la question des racines chrétiennes duterritoire de Nouvelle-Calédonie.

Cela veut dire qu’il reconnait que ce territoire s’appelle Kanaky, mais qu’on ne peut pas dénier non plus à ce territoire une identité qui n’est pas exclusivement kanak et qui peut être chrétienne. Ce sont évidemment les Européens qui ont emmené la culture chré- tienne aux Kanaks.

Cela veut dire que dans l’identité kanak, ils reconnaissent aujourd’hui qu’il y a une part d’identité chré- tienne et que cette identité kanak s’est renouvelée.

L’IDEE DE L’INDEPENDANCEFAIT SON CHEMIN

C’est au regard de tous ces élé- ments historiques, agrégés, depuis les années 1980 que l’idée de l’indépendance fait son chemin parce que la France n’a plus les moyens ou ne veut plus p ayer une assimilation ou une assistance qui serait de nature à laisser penser aux gens que, hors d e la France, point de salut.

Sur cette question, hors de salut, il faut mettre en évidence le fait que la Nouvelle-Calédonie a pour voisins de grands pays comme l’Australie et surtout la Nouvelle-Zélande et que vous avez des étudiants qui, une fois qu’ils ont quitté la faculté de Droit de Nouméa, vont poursuivre leurs études non pas à Paris ou dans une province de la France hexagonale, mais dans le Pacific sud. Cela veut dire que dans le conscient collectif calédonien, kanak, il y a une possibi- lité d’envisager l’avenir autrement. Non pas simplement dans le cadre de la République exclusivement, mais aussi avec d’autres puissances d’à côté, y compris le Japon qui n’est pas très loin. Avec un discours éco- nomique, une vision économique où certains entrepreneurs calédo- niens qui ne sont pas kanaks, se disent à un moment donné que le nickel sera épuisé et qu’il faut penser à un autre modèle de développement.

Le modèle pensé, c’est que la Nouvelle-Calédonie devienne une puissance agricole dans la région. On sait qu’on aura tou- jours besoin de manger.