«Fratelli Tutti»Une encyclique au contenu progressiste

Le 4 octobre dernier, le Pape François a rendu public une encyclique intitulée «Fratelli Tutti» (Tous Frères). Elle a provoqué une onde de choc, en développant une analyse du monde actuel que n’auraient pas désapprouvée un grand nombre de progres- sistes, dont les Communistes. Ce texte n’a sans doute pas fini de faire parler de lui.

UNE ANALYSE VISANTCERTAINS DIRIGEANTS ACTUELS

Il s’agit d’un long texte d’environ 90 pages avec les notes qu’il est impos- sible de résumer ici. On se conten- tera de souligner les principaux points qui en font un texte poli- tique. Il est composé de huit chapi- tres, divisés en parties et sous-par- ties, et chacune de ces subdivisions porte un titre. Quelques uns pour donner une idée du contenu : - la fin de la conscience historique - des droits humains pas assez universels - sans dignité humaine aux fron- tières

Par ailleurs, l’analyse globale du monde ne se prive pas, par moments, de viser directement, sans toutefois les nommer, certains dirigeants actuels, comme dans ce passage sur les murs : «Quiconque élève un mur, quiconque construit un mur, finira par être un esclave dans les murs qu’il a construits, privé d’ho- rizons. Il lui manque en effet l’alté- rité».L’allusion à Trump est transpa- rente, mais elle peut aussi concerner l’Israélien Netanyahu.

UNE DÉNONCIATION SANSCONCESSION DU LIBÉRALISME

Mais, c’est dans sa critique de la logique actuelle du système écono- mique dominant le monde, que le Pape François est sans doute le plus marquant. Deux parties en effet sont remarquablement proches des analyses que les Communistes font du capitalisme. La première intitulée «Populismes et libéralisme»met en garde contre le populisme qui exploite la notion de peuple pour servir des intérêts de pouvoir, en détournant les aspirations popu- laires et il insiste fortement sur la valeur du travail pour la réalisation de soi. Il ne s’agit pas, dit-il, de distri- buer mais de donner à chacun les moyens de son émancipation.

Dans cette même partie, il dénonce aussi, sans concession, le libéralisme économique actuel : «Le néolibéra- lisme [recourt] aux notions magi- ques de «ruissellement» ou de «retombées»comme les seuls moyens de résoudre les problèmes sociaux. Il ne se rend pas compte que le prétendu ruissellement ne résorbe pas l’inégalité, qu’il est la source de nouvelles formes de vio- lence qui menacent le tissu social».

UN TEXTE EN COHÉRENCE AVEC L’HOMME, S’AGISSANT DE LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE ET LES BIENS COMMUNS

Le titre de la deuxième partie la plus proche de nos analyses parle de lui- même : «Remettre l’accent sur la fonction sociale de la propriété». Le Pape rappelle la hiérarchie des droits, en mettant en tête les droits universels et naturels d’accès aux biens communs : «Le droit de cer- tains à la liberté d’entreprise ou de marché ne peut se trouver au- dessus des droits des peuples et de la dignité des pauvres, pas plus qu’au dessus du respect de l’environne- ment, car celui qui s’approprie quelque chose, c’est seulement pour l’administrer pour le bien de tous».

Ce texte important est en cohé- rence avec l’attitude du pape François, tant personnelle que publique. On sait, en effet, qu’en tant qu’archevêque de Buenos Aires, il avait refusé le logement et la voiture de fonction de son office pour se contenter d’un apparte- ment modeste et des transports en commun. Il a fait de même à Rome, en n’occupant pas les logements papaux. Mais il a aussi montré, dans d’autres circonstances, où allaient ses choix publics. Tout le monde se souvient, en effet, du père Ernesto Cardenal, prêtre nicaraguayen, membre du gouvernement sandi- niste, réprimandé publiquement par le Pape Jean-Paul II à Managua. Ministre de la culture et compagnon de route de Daniel Ortega, le père Cardenal a payé cher son engage- ment. Après cet incident, Jean-Paul II l’a suspendu définitivement. Interdiction de dire la messe et de donner des sacrements. En 2019, peu de temps avant sa mort, le Pape François l’a rétabli dans ses droits. Sans commentaire.

MARX A TOUJOURS RECONNULA VALEUR DU MESSAGE RELIGIEUX

En réalité, on l’oublie quelquefois parce que l’on tronque la citation, Marx a toujours reconnu la valeur du message religieux dans la lutte contre les inégalités et l’injustice, même s’il a contesté les voies et moyens pour les éradiquer.

En effet, dans la célèbre formule :«[la religion] est l’opium du peuple», on omet souvent de citer le début : «la religion […] est l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit des sociétés où l’esprit est exclu».On peut parier que dans l’encyclique «Fratelli Tutti» Marx aurait vu une illustration de sa réflexion sur la valeur de l’engagement religieux.

Alors, indiscutablement, «Fratelli Tutti» est une encyclique au contenu progressiste.