La situation actuelle au Haut Karabakh
L’aggravation actuelle de la situation dans l’enclave du Haut Karabakh est très inquiétante. Michel André, Guadeloupéen marié à une Arménienne, revenu en Guadeloupe après avoir passé des années en Arménie, est un des responsa- bles du collectif Arménindien, qui organise, en ce moment, la campagne de collecte de fond «Guadeloupe pour l’Artsakh». À la suite d’un premier article sur le sujet dans le numéro 893 du 22 octobre 2020, notre journal a tenu à l’interviewer pour avoir des précisions sur la réalité de ce que vivent actuellement les populations arméniennes de cette région.
Pouvez-vous nous donner des informations sur l’état d’esprit de la population aujourd’hui en Arménie ?Michel André :Dans la capitale, Erevan, on ne peut pas dire que cela respire la sérénité. La vie quotidienne est fortement per- turbée en Arménie du fait que le peuple souffre de ce conflit dans toute sa chair, ne sachant pas exactement le temps que pourra durer cette guerre. La vie continue, tant bien que mal, à Erevan, car la population doit mener une lutte parallèle contre un autre fléau qui est le Coronavirus, qui fait aussi de nombreuses victimes.
Les écoles et les crèches sont fer- mées ; les écoles qui le peuvent fonctionnent par visioconfé- rence. Les bars sont fermés, mais une partie des restaurants se consacre à la préparation des repas pour les distribuer aux gens qui sont dans le besoin, tels les réfugiés, les militaires etc. Des mouvements locaux de solida- rité sont créés pour des aides de toutes sortes, vêtements, aliments, finances, hébergements etc... Le peuple Arménien est très soli- daire, naturellement. Les souf- frances endurées lors du génocide de 1915, ont, sans doute, contri- bué à cette générosité.
Qu’en est-il de la mobilisation militaire en l’Arménie pour venir en aide à l’enclave ?Le peuple vit dans l"inquiétude per- manente, car il guette le moment où les instances militaires et le gou- vernement, appelleront différents membres de leur famille au combat. Certains ont déjà été appelés à signer leur inscription pour un éven- tuel enrôlement et sont dans l"at- tente de leur appel au combat. C"est le cas des 2 fils de mon épouse, âgés de 28 et 31 ans. Les conditions mili- taires en Arménie, sont les sui- vantes : le service militaire y est obli- gatoire dès l"âge de 18 ans, et dure 24 mois. En cas de conflit, comme ce qui se passe actuellement, sont rappelés, en tant que réservistes et comme la loi martiale a été décré- tée, les hommes de 18 à 55 ans.
Quels sont les liens historiques entre l’Arménie et le Haut Karabakh ?Entre l"Arménie et le Haut- Karabakh, les liens sont ethniques et ce, depuis des siècles, mais ils sont également religieux, car ces 2 Etats pratiquentla même religion qui dépend de l"église Apostolique Arménienne. Le Haut-Karabakh ayant autoproclamé son indépen- dance en 1991, il a un Président de la République d"Artsakh, un Gouvernement composé de minis- tres, un Parlement et est totalement dissocié du Gouvernement de l"Arménie, politiquement. J"ai eu, pour ma part, l"occasion de visiter cet Etat, mais pour y rentrer, j"ai dû acquérir un visa à l"entrée du pays, même si j"avais un visa Arménien.
Il y a, bien sûr, des familles armé- niennes qui ont des liens avec leurs proches vivant dans le Haut- Karabakh. Du côté de la famille de mon épouse, il n"y a aucun membre vivant dans l"Artsakh. Je ne possèdepas de connaissances qui y vivent, non plus. Actuellement, dans le Haut-Karabakh, y vivent quelques rares familles dont les maris et les fils sont restés pour combattre au front et défendre ce qui est encore possi- ble. Autrement, la plupart des habi- tants ont choisi l"exode vers l"Arménie pour protéger leur vie.
Comment évolue la situation des populations civiles de la région ?De nombreux Arméniens vivant dans le Haut Karabakh, et, principa- lement dans les villes de Shushi et Stepanakert, sont quasiment pous- sés à l"exode vers l"Arménie, et sur- tout dans une sorte de «corridor» formé entre la ville de Goris (der- nière ville arménienne sur la route vers le Haut Karabakh) et Shushi (ville d"entrée du Haut Karabakh sur cette même route). Cela entraîne que ce couloir risque d"être encom- bré par les réfugiés Arméniens, et c"est, sansdoute, ce qui est sou- haité par les autorités turques et azerbaïdjanaises, pour continuer leur «nettoyage ethnique». Plus de 80.000 Arméniens ont quitté le Haut-Karabakh [note : sur une population estimée à 150 000 habitants en 2015] pour se réfu- gier dans les différentes villes autour de Erevan et aussi dans les villes situées loin de la frontière Azerbaïdjanaise.
A terme que cherche l’Azerbaïdjan ?Les intentions de l"Azerbaïdjan ne semblent pas se diriger clairement vers une reconquête de l"enclave du Haut-Karabakh, mais plutôt, de créer une continuité territoriale, en vue d"étendre son territoire vers le Nord de l"Azerbaïdjan. N"oublions pas que, dans la partie Sud de l"Arménie, il y a une sorte d"étau constitué par le Nakhitchevan au Sud Ouest, qui appartient officiellement à l"Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh, au Sud-Est. Le Nakhitchevan, l"Arménie et le Haut-Karabakh dis- posent d"une frontière, au Sud, avec l"Iran. Ce qui complique un peu le passage direct du Nakhitchevan vers le Haut- Karabakh, car le «témoin gênant» c"est l"Arménie.