Un dirigeant jamaïcain progressiste : Michael Manley (1924-1997)

Éminent dirigeant politique, Michael Manley incarne une volonté de défendre les plus humbles mais il est aussi un de ces leaders progressistes de la Caraïbe à avoir eu comme objectif la lutte contre le capitalisme et son allié le plus notable dans la région, le néo-colonialisme.

UNE VIE AU SERVICE D’UNE CAUSE

Né en Jamaïque en 1924 dans une famille marquée à gauche, il est formé en Grande-Bretagne à la London School of Economics. Il sera brièvement journaliste à la BBC avant de revenir dans son pays et de poursuivre quelques temps dans le journalisme. Il devient, en 1953, permanent du syndicat National Workers Union, un syndicat créé par les militants du Parti National du Peuple (PNP), affilié à l’Internatio- nale socialiste. Lorsque l’on sait que ce dernier parti a été dirigé par Norman Manley, le propre père de Michael Manley, on comprend qu’il a baigné dès ses débuts dans un milieu qui ne pouvait que favoriser son engagement personnel. De fait il restera toute sa vie un militant socialiste actif fidèle à ses convic- tions. Il se fait remarquer comme dirigeant syndical et mène, entre autres actions mémorables, une grande grève victorieuse de 97 jours à la radio (Jamaïca Broad- casting Corporation) en 1964. De ce combat syndical il retirera son surnom populaire en Jamaïque : Joshua.L’HOMME D’ETAT

Élu au parlement en 1967, puis à la tête du PNP en 1970, il est tout naturellement appelé aux fonctions de Premier ministre lorsque son parti remporte les élections en 1972. Son arrivée à la tête du gou- vernement suscite un immense espoir. Car il n’a jamais caché son orientation socialiste. Il précise, de plus, qu’il s’agit de socialisme démo- cratique, pour se différencier des autres formes de socialisme exis- tant dans le monde. Ce qui peut apparaître comme une distance par rapport aux autres formulations en vigueur dans le camp socialiste de l’époque (pourquoi rajouter en effet «démocratique» ?) doit être remis dans son contexte et il s’en explique lui-même à l’époque en précisant qu’un pays longtemps colonisé comme la Jamaïque est fondamen- talement à la recherche de sa sou- veraineté, y compris dans le domaine idéologique. Cette posi- tion politique le conduira à nouer des liens amicaux avec Cuba, et à refuser les diktats du FMI lorsque les difficultés arriveront. Le PNP gagnera triomphalement les élec- tions de 1976 et Michael Manley restera donc huit ans, sans interrup- tion, au poste de Premier ministre. Plus tard il reviendra au pouvoir en 1989 mais devra démissionner pour des raisons de santé, en 1992. UN BILAN SIGNIFICATIF MALGRÉ LES CRISES

L’action du PNP, sous sa direction, comporte, entre autres, la construc- tion de 40 000 logements, la gra- tuité de l’éducation secondaire, l’in- troduction du salaire minimum, mais aussi des réformes sociétales comme le congé de maternité où l’égalité de statut entre enfants de couples légitimes et enfants hors mariage. Sur le plan économique les nationalisations, mais aussi d’impor- tants achats de terres vont, par contre, se heurter à la chute des cours du sucre, à l’augmentation considérable du prix du pétrole, et fragiliseront sa politique générale. Michael Manley sera contraint d’ac- cepter les conditions du FMI en définitive. Cet infléchissement, vécu comme une trahison par son électorat populaire, lui coûteront les élections de 1980. Il tirera un bilan politique de cet échec en déclarant qu’il «avait perdu parce qu’il s’était opposé à l’ordre écono- mique occidental». Il reconnaitre plus tard ne pas avoir su compren- dre la crainte des classes moyennes et d’avoir surestimé leur conscience politique. Les cadres de l’économie, membres de la classe moyenne, firent en effet cruellement défaut au pays lorsqu’ils le quittèrent effrayés pas les difficultés écono- miques et la montée de la violence.UNE LEÇON POLITIQUE

L’action de Michael Manley pour un socialisme dans la Caraïbe ne pou- vait pas ne pas se heurter aux grandes puissances économiques. Le recours à l’anticommunisme hai- neux de son adversaire politique Edward Seaga (leader de l’autre grand parti jamaïcain le JLP) donne la mesure des résistances au changement que rencontre toute politique de lutte contre le capita- lisme et le néocolonialisme, comme en témoignent, ailleurs, les assassinats de Lumumba (1961), Allende (1973), Bishop (1983), Sankara (1987).

Conscient d’avoir fait des erreurs politiques, Michael Manley, cepen- dant, n’a jamais varié dans son ana- lyse des racines de l’injustice sociale de notre monde et déclarera à la fin de se vie, lorsqu’on l’interrogeait sur son action, que la contradiction fondamentale de nos sociétés actuelles était entre la propriété pri- vée des moyens de productions et le salariat. Dans un monde enclin aux trahisons idéologiques son atti- tude témoigne d’une grande fidé- lité à ses convictions appuyées sur une analyse marxiste ayant résisté aux modes. Ce n’est pas si fréquent et il faut le souligner.