Conflit en Éthiopie dans la région du Tigré

L’Éthiopie est depuis trois semaines en proie à un conflit armé au Tigré, région située dans le Nord du pays. Celui-ci menace de prendre une tour- nure de longue durée en raison des forces en présence. Encore une fois les populations civiles risquent d’en faire les frais.

LES TIGRÉENS UNE MINORITÉIMPORTANTE

Faible par leur poids démogra- phique (6 millions sur une popula- tion totale de 110 millions) les Tigréens ont occupé depuis trente ans une place très importante dans la politique éthiopienne, à travers le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT). Depuis trente ans, ce parti a été membre, de la coalition au pouvoir, le Front démocratique du peuple éthiopien, dans laquelle se retrouvaient également trois autres partis à base régionale eth- nique. Étaient ainsi représentés les Oromos, les Amhara et les peuples du Sud. Initialement séparatiste le Front de libération du peuple du Tigré avait abandonné cette reven- dication pour s’intégrer à cette cogestion de l’Éthiopie, et ils en étaient devenus les leaders. ABIY AHMED, DE LA PAIX À LA GUERRE

L’arrivé au pouvoir, en 2018, de Abiy Ahmed a tout fait basculer. C’était le premier dirigeant à ce poste venant de l’ethnie oromo majoritaire (35% de la population). Auréolé de la conclusion de la paix avec le voisin du Nord, l’Érythrée et du prix Nobel de la paix décerné en 2019, Abiy Ahmed a cependant voulu mettre fin à la cogestion du pouvoir sur des bases ethniques en dissolvant le Front démocratique du peuple éthiopien pour le rempla- cer par une formation unique, le Parti de la Prospérité. Le FLPT, considérant qu’il était évincé du pouvoir, s’est retiré de la coalition et dans le même temps a relancé sa revendication séparatiste. Le conflit était inévitable. LES DONNÉES MATÉRIELLESD’UN CONFLIT QUI S’ANNONCE LONG

Située juste au Sud de l’Érythrée, la région du Tigré concentre plus de la moitié des forces militaires actuelles de l’Éthiopie tant en hommes qu’en matériel. Les com- bats commencés le 4 novembre se sont déroulés jusqu’ici dans des villes secondaires et l’avancée des troupes gouvernementales a été rapide. Il n’en sera bientôt plus le cas, d’après tous les observateurs, car les forces tigréennes sont nom- breuses, disposent de l’appui de la population et se préparent à cou- per les arrières de l’armée éthio- pienne. On s’achemine sans doute vers une guerre d’usure. Mais il semble d’autre part que l’assaut imminent sur la capitale Mekele, avec des chars et de l’artillerie sera très meurtrier si l’on en croit l’ultimatum de 72h lancé le 22 novembre. Au delà de ce délai la population civile est prévenue qu’elle sera assimilée à des com- battants et qu’elle ne sera pas épargnée. On compte déjà des dizaines de milliers de réfugiés au Soudan voisin et le flux de l’exode n’est sans doute pas prêt de s’arrêter. DES SOLUTIONS POLITIQUES À INVENTERComme dans d’autres régions du monde le conflit qui prend nais- sance aujourd’hui au Tigré met en lumière les contradictions entre les politiques centralisatrices des pouvoirs et les aspirations régio- nales. État fédéral à base ethnique depuis la constitution de 1994, l’Éthiopie comprend 11 régions disposant chacune de son gou- vernement. Véritable mosaïque de langues et donc de cultures (13 langues parlées par plus d’un million de locuteurs mais 90 en tout) l’Éthiopie ne pourra sans doute pas dépasser la crise actuelle sans respecter une forte autonomie régionale. Car dans le même temps les régions Oromo et Amhara ont également été tou- chées par des violences intereth- niques. C’est une crise de plus qui contredit la conception du pou- voir qui prévaut encore un peu partout, celle d’un centre vers lequel tout remonte.

Unique grand pays d’Afrique à n’avoir pas été colonisé au fil des âges, l’Éthiopie jouit d’un grand prestige en Afrique et dans le monde. Sa politique sera regardée et évaluée. Elle peut servir de modèle pour d’autres. De ce point de vue il faut absolument que la rai- son l’emporte dans la crise actuelle. De nombreuses organisations de par le monde se sont manifesté pour oeuvrer en faveur d’un cesser le feu. Nous ne pouvons que nous associer à un tel mouvement.