La situation actuelle au Nigeria

Le Nigeria a fait la une de l’ac- tualité à plusieurs reprises dans ces dernières semaines. Pays à la fois le plus peuplé d’Afrique avec plus de 200 millions d’ha- bitants et dont le PIB est le plus important, c’est aussi un des pays très inégalitaires, avec 60% de la population vivant en des- sous du seuil de pauvreté et une profonde corruption des élites qui détournent les fonds publics dans des proportions gigantesques.

UN PAYS MARQUÉ PAR DES COUPS D’ETAT

Au sortir de la colonisation, en 1960, le Nigeria n’a pas connu de longues périodes de calme. Le pre- mier coup d’Etat, en 1966, a été suivi, peu après, de la sécession du Biafra, entre 1967 et 1970, qui a donné lieu à un affrontement très meurtrier. Plusieurs autres coups d’Etat, en 1975, en 1983, en 1993 ne laisseront que peu de place à la démocratie. Depuis 1999 le Nigeria connait une période de stabilité des institutions démocratiques avec des Présidents élus. C’est toutefois un ancien putchiste de 1983, le général en retraite Muhammadu Buhari, actuel Président, qui entame son deuxième mandat (élu en 2015 et 2019). UN ETAT PROFONDÉMENT MALADE

La corruption et la violence gangrè- nent le pays. C’est contre celles-ci que le pays s’est dressé récemment, à la fin d’octobre 2020, pour demander la dissolution du Special Anti-Robbery Squad ou SARS (l’es- couade spéciale de lutte contre le vol). Responsable d’innombrables exactions, le SARS est un symbole du pouvoir et de sa violence envers la population. Ces mouvements de protestation, traduction d’un pro- fond rejet du pouvoir, ont rapide- ment débordé le cadre de la seule dénonciation des violences poli- cières pour s’en prendre à la mau- vaise gouvernance et au non res- pect des libertés. Ce qui fait du Nigéria un Etat profondément malade. La démission du Président a été réclamée par la rue. Devant cette contestation de grande ampleur le pouvoir a cédé en dissol- vant les SARS. Mais cette manoeu- vre ne trompe personne car c’est la quatrième fois que ce procédé est appliqué sans aucun changement sur le terrain. LA FAILLITE DU POUVOIR FACE À BOKO HARAM

Dans le même temps, le pouvoir de Buhari a été mis en échec face au groupe Boko Haram, lui qui avait promis de mettre fin à la terreur dans le Nord-Est du Nigeria. La secte qui se réclame de l’État Islamique a refait parler d’elle en massacrant une centaine de pay- sans dans leurs champs à la fin du mois de novembre, puis en enlevant plusieurs centaines de collégiens et lycéens au milieu du mois de décembre.

Les paysans sont morts car ils avaient, selon les informations réu- nies, refusés de payer l’impôt que réclame Boko Haram aux villageois qu’ils harcèlent. Les lycéens, eux, représentent ce contre quoi se dresse un groupe comme Boko Haram : l’école publique. Le nom Boko Haram signifie, en effet, «L’école est un pêché». En réalité malgré les proclamations du pou- voir nigérian, le groupe n’a rien perdu de sa dangerosité et il vient une nouvelle fois de le prouver. C’est donc la faillite du pouvoir face à Boko Haram.UNE SITUATION QUI PREND NAISSANCE DANS LES TRÈS PROFONDES INÉGALITÉS DE LA SOCIÉTÉ

Les chiffres de la lutte contre le ter- rorisme de Boko Haram sont révéla- teurs. Il y a eu, en un peu plus de dix ans, environ 40 000 morts au Nigeria seulement, et deux millions de déplacés car, il faut signaler que Boko Haram agit aussi au Cameroun, au Tchad et au Niger.

Mais, il faut souligner que l’Etat nigérian est une partie du problème posé par la lutte contre Boko Haram car, la moitié de ces 40 000 morts sont dus à la répression de l’armée nigériane.

Les racines de la situation actuelle sont à rechercher dans la profonde violence qui traverse la société nigé- riane. La lutte contre l’obscuran- tisme que véhicule une secte comme celle de Boko Haram, avec son rejet de toute forme de rationa- lisme, ne pourra être couronnée de succès, si l’intégration de la jeunesse dans la vie socio économique du pays n’est pas réalisée. Avant de régner par la terreur, Boko Haram a commencé, comme d’autres l’ont fait ailleurs, par des prédications pour dénoncer les injustices.

Les atrocités commises par ce groupe ne doivent pas servir à mas- quer la réalité profonde d’une situa- tion qui prend naissance dans les très profondes inégalités de la société que la chape de plomb du pouvoir tente de maintenir à grand peine, et qui cherche à instrumen- taliser sa lutte contre le terrorisme.

Dans ces conditions le mouve- ment qui a secoué le Nigeria pour la dissolution des SARS ne peut que nous interpeller car, il traduit un sursaut de la population qui est peut-être la première ébauche d’une mobilisation de grande ampleur pour un avenir démocra- tique du pays. À sa manière, il témoigne que malgré les difficul- tés, il y a toujours au sein d’un peu- ple les ressources pour garder un espoir dans des jours meilleurs.