2020, une année pas comme les autres : Bilan succinct des luttes

L’année qui vient de s’écouler ne ressemble à aucune autre dans l’histoire proche et ses consé- quences à long terme sont encore largement impossibles à déterminer avec précision. Mais les luttes n’y ont pas manqué et on peut mettre en évidence cer- taines tendances pour en tirer des leçons utiles pour l’avenir des mouvements progressistes. Parmi tous les aspects inhabi- tuels de ces manifestations de protestation, trois retiennent l’attention.

LA DURÉE DONC LA PERSÉVÉRANCE DANS LA LUTTE EST NOTABLE

La première remarque concerne la grande durée des mouvements que l’on a pu constater dans de nom- breux pays. Au point que, dans cer- tains cas, il faut remonter à 2019 voire à 2018 pour décrire, dans leur globalité, ceux qui sont toujours en cours.

C’est en octobre 2018 que com- mence le mouvement des Gilets jaunes en France, en février 2019 que le Hirak (mouvement en arabe) algérien débute, en mars 2019 que les jeunes de Hong-Kong entament leur mouvement de pro- testation, en octobre 2019 que le Chili et le Liban voient descendre dans la rue des foules immenses.

Ces données nous enseignent plu- sieurs choses. La persévérance dans la lutte est notable, et elle est d’autant plus remarquable que, dans bon nombre de cas, ces mouvements démarrent sans l’impulsion de partis politiques mais grâce aux réseaux sociaux. Il y a d’autre part une lucidité poli- tique dans ces mouvements qui ne se laissent pas détourner de leurs objectifs initiaux, par la répres- sion, comme en Algérie, ou par les réponses biaisées, comme au Chili. Il y a enfin une mondialisation des luttes, des peuples donnant l’exemple à d’autres, comme cela a été le cas entre l’Algérie et le Liban ou entre les Chinois de Hong-Kong et les Thaïlandais en lutte contre la royauté.DES RÉVOLTES COLLECTIVESOÙ LES OBSERVATEURS ONT NOTÉ LA MIXITÉ RACIALE

La deuxième remarque porte sur le caractère collectif de ces mouve- ments qui ont drainé des foules considérables. Les rassemblements en Algérie contre le pouvoir de Bouteflika, ceux au Chili contre les inégalités ou ceux aux USA contre les violences policières, après l’as- sassinat de George Floyd, avaient des proportions jamais vues dans ces pays. Ils ont également ras- semblé des catégories de popula- tions qui n’étaient pas habituées à défiler ensemble, comme cela s’est bien vu aux USA où tous les observateurs ont noté la mixité raciale des manifestations.

D’un bout à l’autre de la planète, on peut parler d’un sursaut populaire qui dépasse de loin tout ce que les partis politiques peuvent mobiliser. Il y a néanmoins dans le caractère inorganisé de certains mouvements des dangers de récupération popu- liste comme on l’a vu dans le mou- vement des Gilets Jaunes en France, ou d’absence de prolongement politique comme cela a été le cas avec certaines revendications des manifestants américains dont un des slogans importants, «Defund the Police» («réduire le budget de la police») n’a pas été repris par le can- didat démocrate Joe Biden.

DANS BIEN DES CAS,LES FEMMES SE SONT TROUVÉES EN POINTE DU COMBAT

Dernier caractère remarquable de ces mouvements de protestation populaire : la présence des femmes a été très générale et, dans bien des cas, elles se sont trouvées en pointe du combat. Dans le monde, en 2019-2020, de nombreuses femmes sont devenues des sym- boles de résistance et de lutte, com- me l’opposante biélorusse Tikha- novskaïa, figure de proue du mou- vement qui s’oppose à Louka- tchenko, l’homme de fer du pays, comme la jeune Agnes Chow à Hong-Kong, ou comme Ahed Tamimi en Palestine.

Mais, au-delà de ces femmes, ce qui a le plus marqué les observateurs, ce sont lesmilliers d’anonymes qui, de l’Algérie au Liban, de la Thaïlande aux USA, se sont retrou- vées en première ligne des cor- tèges. L’élection de Kamala Harris à la vice-présidence des USA est, de ce point de vue, le symbole de toute une époque, celle d’une entrée de plus en plus nette des femmes dans l’arène politique. Signe des temps, c’est un magazine américain nulle- ment progressiste, le Time, qui a décerné à la Française Assa Traoré le titre de «gardienne de l’année», saluant ainsi son combat, pour que justice soit rendue à son frère et, plus généralement, contre les bavures policières et le racisme ordinaire dans la police française.UN SIGNE D’ESPOIRET UN APPEL AU TRAVAIL DE CONSCIENCE POLITIQUE

Du point de vue des luttes, l’année qui vient de s’écouler est riche de promesses, malgré le coup de frein donné à bien des mouvements par la crise sanitaire. Ce terreau est pour tous les progressistes un signe d’espoir et en même temps un appel au travail de conscience politique, sans lequel même les plus puissants mouvements finis- sent par des échecs sur fond d’amertume, comme nous l’en- seigne l’Histoire.