La gouvernance de l’eau au coeur de la bataille électorale

Après bien des péripéties, de reniement et de trahisons, les Guadeloupéens commençaient à croire, que placés au pied du mur après la dissolution du Siaeag, que les élus allaient enfin dépasser leurs antagonismes et leurs ambitions pour enfin se mettre d’accord sur la gouver- nance de l’eau. Nous sommes bien obligés de reconnaître que nous nageons toujours dans la mare aux eaux boueuses.

A quelques huit mois de l’échéance fixée par les auto- rités pour que la structure unique de gestion de l’eau soit opé- rationnelle, l’horizon s’obscurcit.

Les citoyens-usagers s’inquiètent de toutes les manoeuvres en cours sur le plan local et au niveau de l’Etat pour éloigner la résolution de cette problématique de faire couler l’eau dans les foyers guadeloupéens.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que contrairement aux affirmations des décideurs, que leur préoccupa- tion c’est l’eau dans les foyers, leurs intérêts immédiats sont ailleurs.

Pour reprendre la phrase mythique de l’ancien Président français, Jac- ques Chirac, au Sommet de la Terre à Johannesburg : «Nôtre maison brûle, mais nous regardons ailleurs». Ailleurs, ce sont les élections dépar- tementales et régionales de juin 2021.

Le projet de gouvernance de l’eau est instrumentalisé par des politi- ciens en quête de leadership, obnu- bilés par l’illusion du pouvoir que conférerait la conquête du Conseil départemental et du Conseil régio- nal, et manipulés par l’Etat, qui a sa part de responsabilité dans la gabe- gie de l’eau qui dure depuis plus de quarante ans en Guadeloupe

. Car, il faut se rendre à l’évidence, rien n’a changé dans ce domaine.

Depuis l’OPA sur l’eau, organisée par Joël Beaugendre pour devenir maire de Capesterre Belle-Eau en 1995, cette question est toujours un pro- duit d’appel dans le plan de cam- pagne des politiciens et un outil de manipulation politique. L’ex-prési- dent du Siaeag, Amélius Hernandez a, pendant près de deux décennies mis les moyens de cet organisme public au service des ambitions élec- toralistes de certains politiciens et autres décideurs.

La loi NOTRe qui a transféré la com- pétence «Eau» aux EPCI (Commu- nautés d’agglomération), a aggravé la situation et alimenté l’appétit de pouvoirs de nouveaux «barons de l’eau» que sont devenus les prési- dents de ces Communautés d’agglo- mération. La maîtrise des réseaux de distribution et les autorisations de branchement dans son périmètre communautaire se transforment le plus souvent en gains électoraux pour l’élu local.

Alors, imaginer le potentiel élec- toral que peut représenter la pré- sidence du Syndicat mixte ouvert de gestion de l’eau en Guade- loupe. Depuis plusieurs années c’est la lutte pour conserver ou conquérir le pouvoir qui a bloqué toute avancée dans ce dossier.

On croyait pouvoir en sortir, mais l’approche des prochaines élections vient relancer la bataille infernale entre les politiciens qui pensent avant tout à garder leur mandat, et ceux qui veulent les déboulonner. Dans tout cela, ce sont les citoyens- usagers qui trinquent, car élections après élections, rien ne change. Tout le monde sait que dans ce domaine, il n’y a pas d’issue en dehors de la mutualisation des moyens, dans le cadre d’une gou- vernance unique de l’eau. C’est l’ob- jet du Syndicat mixte ouvert débattu par les élus et dont les sta- tuts améliorés devraient faire consensus.

C’est au moment où s’ouvre cette perspective que le poison de la divi- sion s’invite dans le débat et vient gripper le processus.

Pourquoi Cap Excellence brise-t-elle la solidarité qui préside à la gouver- nance unique de l’eau ? Il est certain que toutes les réserves soulevées par Cap Excellence peuvent trouver des réponses positives dans le cadre d’un dialogue franc et loyal qui vise l’intérêt général. C’est vraiment un mauvais signal donné à la

Guadeloupe, en s’enfermant dans un égoïsme communautaire, alors que l’eau est un bien commun.

Pourquoi des parlementaires gua- deloupéens s’acoquinent-ils avec l’Etat pour invalider des élus guade- loupéens ? La proposition de Loi Justine Benin, Dominique Théo-POLITIQUE

phile, non seulement viole un prin- cipe constitutionnel, mais elle est en deçà du projet des exécutifs élus guadeloupéens et n’apporte au- c une réponse aux exigences des usagers et de Cap Excellence.

I l est surprenant de constater que d’autres parlementaires guadelou- péens, en se livrant au jeu des amendements de ce texte inique, allant jusqu’a appeler l’Etat à entrer dans le capital du Syndicat mixte ouvert s’apprêtent à se soumettre à la volonté de la majorité «macro- niste» au Parlement et au choix prémédité du gouvernement. Alors pourquoi toute cette mascarade et ces postures indignes ?

Comment ne pas voir que les gran- des manoeuvres ont commencé ici et à Paris pour instrumentaliser les votes des élections aux prochaines échéances électorales ?

En surfant sur le mécontentement grandissant des citoyens qui subis- sent les coupures d’eau depuis des années et sur le discrédit qui frap- pent certains élus, d’autres qui se croient au-dessus de la mêlée espè- rent tirer un profit électoral de la résolution de la crise de l’eau, sur la base de leur proposition. En brouil- lant les cartes et en déstabilisant le fragile consensus qui se construit difficilement, ils prennent une lourde responsabilité.

On ne joue pas avec la vie des hommes, des femmes et des enfants, pour une victoire électorale de nature éphémère. En tout cas, tous ceux qui se servent de l’eau pour faire de la politique, prennent le risque d’allumer un brasier. Déjà, le Comité de défense des usagers de l’eau de Guadeloupe a an-noncé clairement la couleur devant la presse le jeudi 22 janvier par la déclaration de son prési- dent Ger-main Paran : «Si les élus ne règlent pas ici, en Guadeloupe, la question du Syndicat unique de l’eau avec la participation des usa- gers, la rue va parler». Le message ne peut pas être plus clair.