Moraliser la vie politique

La morale ! Un enseignement éducatif qui a occupé toute sa place, dès le cours préparatoire, dans les programmes de l’école primaire, jusqu’à la fin des années 1960. Progressivement, l’enfant, futur adulte, intégrait les normes sociétales qui lui per- mettaient de distinguer le bien du mal et d’intégrer que toute dérive dans son comportement pourrait entraîner des avertisse- ments ou des sanctions.

Les choses ont bien changé depuis, avec la suppression de la morale à l’école, alors que les éco- liers n’avaient riendemandé, mais, vraisemblablement, parce que les adultes et en l’occurrence les autorités chargées des pro- grammes, ont eu conscience qu’il était bien difficile, voire impossi- ble, de respecter eux-mêmes ce qu’ils interdisaient, et que l’admo- nestation ; «Faites ce que je dis de faire, ne faites pas ce que je fais» était une pure hypocrisie pour se donner bonne conscience.

Cette éducation à la morale se tra- duisait, en effet, généralement par des maximes mettant en garde contre les déviances, telles : «qui vole un oeuf, vole un boeuf» ; «alé-aw sé taw, viré-aw, sé tan mwen» ; «tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse» ; «ti-poul suiv ti kanna é ti- poul néyé» ; «imité ka détenn». On aura noté cependant que, depuis 2015, à la suite des attentats dra- matiques de janvier 2015, un enseignement de la «morale laïque» intitulé «Education morale et civique (EMC)» a été réintroduit à l’école dans le but de «pouvoir vivre ensemble». Le retour de ce nouveau concept de la morale, initié en 2012 par le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon, très controversé au début, a été discuté au cours des ministères de Benoit Hamon et Najat Vallaud-Belkacem.

Ce «vivre ensemble» exige évidem- ment des comportements indivi- duels et collectifs dans tous les com- partiments de la vie, pour assurer l’intérêt général. C’est donc dire que la morale ou encore l’éthique prend toute sa signification, singulière- ment dans la vie publique. Dans le domaine politique, par exemple, les récents scandales qui ont défrayé, une fois encore, la chronique de l’ac- tualité, en sont des exemples illus- tres, comme tant d’autres, en Guadeloupe comme ailleurs. Sur ce petit archipel de 1 500 km 2 , ils ont une résonnance qui favorise terri- blement le discrédit que jette la population sur les élus.

Il s’agit, d’une part, de la condamna- tion par la Cour d’appel de Basse- Terre de l’ex-maire de Le Lamentin, ex-conseiller Général, José Toribio et du chef d’entreprise Jean Cioly ; d’autre part, de la mise en examen de trois anciens maires, Marie- Lucile Breslau, Georges Clairy et Louis Molinié, dans l’affaire de l’is- raélienne de 72 ans, femme d’af- faires, madame Ruth Tordjam.

Il ne saurait être question de faire de la casuistique. Il s’agit de rele- ver que, dans toutes ces affaires, il est question, selon le cas, de cor- ruption, active ou passive, favori- tisme, non-respect du code des marchés publics, faux en écriture, détournement. Nous nous gardons bien de com- menter ces affaires jugées ou à juger, avec toutes les présomp- tions d’innocence. En vérité, seuls les mis en cause savent réelle- ment quel est le degré de leur responsabilité. Par ailleurs, nous tenons à tordre le coup au slogan populaire qui condamne en affir- mant que : «tous les politiques sont malhonnêtes et corrom- pus». Non ! La politique est une noble mission qui vise à assurer le bien-être de l’homme au sein de la société.

Les hommes et les femmes qui s’y engagent dans cet esprit et avec la motivation, ne font pas exception. La grande majorité même est à saluer pour son engagement. Malheureusement, il arrive que se vérifie parfois ce que traduit le dicton : «le pouvoir rend fou». Mais si «folie» il pourrait y avoir, elle peut être évitée.UN CODE MORAL POUR LES ÉLUS

Le Parti Communiste Guadelou- péen, lors d’un séminaire en 1992, a conduit la réflexion sur la moralité de la vie politique, après avoir constaté la fréquence des dérives. Cette réflexion a abouti à des pro- positions pour éviter un comporte- ment non éthique, par la malhon- nêteté, mais aussi par la négligence, le manque de rigueur, le népotisme, la non-préparation, l’inexpérience, le cumul de mandats et d’activités.

U ne charte des élus, titrée«Ethique et politique, un code moral pour les élus», a été diffusée e t a eu des échos, non seulement chez les élus communistes mais aussi au sein du monde politique en général. Beaucoup de chemin, a été parcouru depuis, en particu- lier pour la limitation des mandats politiques, pour permettre à l’élu de consacrer le temps néces- saire à l’exercice de sa mission. Il n’était pas rare en effet de voir signer des parapheurs par des maires ou des présidents de col- lectivités, ou des parlementaires, en pleine réunion.

Mais, la législation doit aller encore beaucoup plus loin. Nous disons, «un homme, un mandat», s’agis-sant des engagements politiques. Elle doit aussi tenir compte de la liste des activités de toutes sortes, y compris professionnelles. L’élu doit a voir pleinement conscience que sa mission exige un temps d’accom- plissement avec la plus grande r igueur, en adéquation évidem- ment avec sa vie familiale, pour exercer en toute responsabilité.

Il ne peut être question, par exem- ple, de chercher à se dédouaner en invoquant le fait «d’avoir signé, sans avoir lu». Il gagnerait à avoir le souci de se documenter continuellement, à rester en liaison avec son organi- sation politique, lieu de réflexion, d’échanges, de formation, de conseils, ce qui lui permettrait d’évi- ter certains pièges, voire de l’aider à surmonter les difficultés dans l’exercice de sa mission.

«Ethique et politique, un code m oral pour les élus» éviterait que la Guadeloupe soit confrontée à tant de problèmes aujourd’hui : e au, chlordécone, déficit ou fail- lite de collectivités, et bien d’au- tres. Les «pouvoirs» que l’on croit détenir mais qui ne sont que des compétences, ne doi- v ent pas «rendre fou», quel que soit le compartiment de la vie, politique, fonctionnariat, privé. Les hommes et de plus en plus les femmes -est-ce là aussi une conséquence négative de la loi sur l’égalité ?- confondent par- fois l’intérêt général avec l’inté- rêt privé personnel ou de parti.

Cette éthique que nous préconi- sons dans la politique permettrait en outre aux jeunes de croire en la démocratie, de retrouver con- fiance dans cette noble mission, indispensable pour le bon fonc- tionnement de la société.