Patrice Lumumba : Combattant internationaliste (2 è me partie)
Avant de devenir Premier minis- tre, Lumumba a établi des liens solides avec une série de mou- vements et de personnalités anti-impérialistes, panafrica- nistes et internationalistes.
En décembre 1958, il est présent à la Conférence des peuples africains à Accra. Il y rencontre, entre autres, l’Antillo-Algérien Frantz Fanon, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Camerounais Félix-Roland Moumié. Il y prononce un discours dans lequel il déclare : «Notre mouvement a pour but fondamental la libération du peuple congolais du régime colo- nialiste et son accession à l’indépen- dance. Nous fondons notre action sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme -droits garantis à tous les citoyens de l’humanité par la Charte des Nations Unies- et esti- mons que le Congo, en tant que société humaine, a le droit d’accéder au rang des peuples libres».
Il le conclut en ses mots : «C’est pourquoi nous crions vivement avec tous les délégués : A bas le colonia- lisme et l’impérialisme ! A bas le racisme et le tribalisme ! Et vive la nation congolaise, vive l’Afrique indépendante !».
À l’issue de cette conférence, Lumumba, est nommé membre permanent du comité de coordina- tion, comme le rappelle Saïd Boua- mama dans Figures de la révolution africaine. Lumumba était égale- ment proche de militants belges anticolonialistes et anticapitalistes comme Jean Van Lierde qui était engagé dans le soutien à la révolu- tion algérienne et qui entretenait des liens étroits avec l’hebdoma- daire La Gauche et avec son anima- teur principal Ernest Mandel.
Quelques semaines après la confé- rence d’Accra, Lumumba et son mouvement organisent dans la capitale du Congo belge à l’époque, une réunion pour rendre compte des résultats de ce sommet antico- lonialiste. Il y revendique l’indépen- dance du Congo devant plus de 10 000personnes. Il décrit l’objectif du Mouvement National Con-golais en évoquant «la liquidation du régime colonialiste et de l’exploita- tion de l’homme par l’homme».
Selon Le Monde diplomatiquede février 1959, suite à cette confé- rence, une émeute éclata à Léopol- dville à partir du 4 janvier 1959. Voici ce qu’en dit le mensuel fran- çais : «Le point de départ de l’émeute e st en relation directe avec la confé- rence panafricaine d’Accra. C’est en effet au moment où les leaders du Mouvement national congolais -au premier rang desquels le président du M ouvement, M. Lumumba- s’apprê- taient à tenir une réunion publique sur ce sujet que les premiers troubles o nt éclaté. Avec l’autorisation du gouverneur général du Congo belge, M. Cornelis, une délégation de natio- nalistes congolais, conduite par M. Lumumba, s’était rendue au Ghana en décembre. Et c’est un compte rendu de son voyage et de ses travaux qu’elle s’apprêtait à faire le 4 janvier, quand la police donna l’ordre aux conférenciers et à ceux qui étaient venus les entendre de se disperser».
Il faut préciser qu’au cours de l’an- née 1959, la répression organisée par la Belgique colonialiste a fait des dizaines, voire des centaines, de morts. Un exemple de l’ampleur de la répression : en octobre 1959, lors du congrès national du Mouvement national congolais (MNC) à Stan- leyville, les gendarmes ont tiré sur la foule en faisant 30 morts et des centaines de blessés. Lumumba est arrêté quelques jours plus tard, il est jugé en janvier 1960 et condamné à 6 mois de prison le 21 janvier 1960.
Mais les protestations sont telles qu’à Bruxelles, le pouvoir prend peur et décide de lâcher du lest en convoquant des élections locales auxquelles les Congolais sont invi- tés à participer. Lumumba est libéré le 26 janvier quelques jours après sa condamnation. Finale- ment, après les élections locales, des élections générales sont organisées en mai 1960, les premières dans l’histoire du Congo belge. Le Mou- vement national congolais (MNC) en sort vainqueur et, en consé- quence, Lumumba est nommé Premier ministre.L’ENCHAÎNEMENT DESÉVÈNEMENTS QUI MÈNE AU COUP D’ÉTAT CONTRE LUMUMBA ET À SON ASSASSINAT
Suite au discours de Lumumba le 30 juin, le gouvernement belge, la mo- narchie et les patrons des grandes entreprises belges présentes au Congo décident d’écarter Lumum- ba et de provoquer la sécession du Katanga, la province la plus riche en matières premières.
Tout de suite se présentent des complices congolais en la personne de Moïse Tshombé, proclamé prési- dent du Katanga le 11 juillet 1960, puis en la personne du président J oseph Kasa-Vubu qui révoque Lumumba en septembre 1960 sans en avoir le pouvoir constitutionnel, et en Joseph-Désiré Mobutu qui dirige quelques jours plus tard un c oup d’État et fait arrêter Lumum- ba alors que ses ministres lui ont confirmé leur confiance et que son p arti est le principal parti au parle- ment. Mobutu, qui a fait une car- rière militaire pendant la colonie et est un ancien journaliste dans la presse congolaise pro-coloniale, a réussi à obtenir un poste de colonel dans la nouvelle armée et s’est retourné très vite contre le gouver- nement congolais. Suite au discours de Lumumbale 30 juin, le gouvernement belge, la mo-narchie et les patrons des grandes entreprises belges présentes au Congo déci- dent d’écarter Lumum-ba et de provoquer la sécession du Katanga, la province la plus riche en matières premières.Entretemps la Belgique avait envoyé au Congo dès juillet 1960, 11 000 soldats (ce qui est énor- me) dont 9 000 au Katanga. Ces 11 000 soldats belges sont ache- minés au Congo en dix jours, pré- cédés par des troupes spéciales de paras-commandos. Cette interven- tion militaire constitue une vérita- ble agression contre un État désor- mais indépendant. Il faut souligner que la Belgique, membre de l’OTAN, a disposé jusque dans les années 1980, en Allemagne de l’Ouest, d’une zone militaire suré- quipée s’étendant de la frontière belge au rideau de fer. L’état- major belge avait à sa disposition un arsenal militaire considérable, en partie d’origine américaine, et l’OTAN lui a permis de déployer avions, transports de troupes et même des navires de la marine de guerre qui ont bombardé des positions congolaises dans l’es- tuaire du fleuve Congo.
Le gouvernement des États-Unis et la CIA sont aussi à la manoeuvre aux «côtés» de la Belgique, avec qui ils ont décidé d’assassiner Lumumba. De même que la France. Dans un télégramme en date du 26 août 1960, le directeur de la CIA Allen Dulles indique à ses agents à Léopoldville au sujet de Lumumba :«Nous avons décidé que son éloigne- ment est notre objectif le plus impor- tant et que, dans les circonstances actuelles, il mérite une grande prio- rité dans notre action secrète». Soulignons que le 12 août 1960, la Belgique avait signé un accord a vec Tshombé, reconnaissant de facto l’indépendance du Katanga. Les tentatives du gouvernement de Lumumba pour faire face à cette sécession étaient tout à fait l égitimes, mais étaient combat- tues par les grandes puissances occidentales.
Malgré son arrestation par Mobutu, Lumumba ne capitule pas et il garde le contact avec les ministres qui res- tent fidèles à leur engagement et avec ses camarades. Un gouverne- ment clandestin dirigé par Antoine Gizenga s’établit à Stanleyville. Lumumba réussit à échapper à ses geôliers le 27 novembre 1960 et cherche à rejoindre le gouverne- ment clandestin à Stanleyville, mais il est arrêté quelques jours plus tard en route.
En janvier 1961, alors que Lumumba est toujours très popu- laire, Mobutu et les puissances occidentales craignent qu’une révolte populaire aboutisse à la libération du leader et décide de le faire exécuter.
L’opération qui mène à l’exécution de Lumumba est directement accompagnée et dirigée par des Belges aux ordres de Bruxelles. De leurs lieux de détention, le 17 jan- vier 1961, Lumumba, Mpolo et Okito ont été emmené en avion, piloté par un équipage belge, à Élisabethville, capitale du Katanga, et livrés aux autorités locales. Ils ont ensuite été torturés par des responsables katangais, dont Moïse Tshombé, et par des Belges. Ils sont ensuite fusillés le soir même, par des soldats sous le com- mandement d’un officier belge.
Selon le témoignage du Belge Gerard Soete, commissaire de police chargé à l’époque de mettre en place une «police nationale katangaise», les trois corps ont été transportés à 220 kilomètres du lieu d’exécution, et ont été enfouis dans la terre derrière une termitière, en pleine savane boisée.
L’Agence France Presse qui a recueilli le témoignage de ce com- missaire de police belge rapporte que 3 trois jours plus tard, les corps ont de nouveau été déplacés afin de les faire disparaître définitivement. Gérard Soete a affirmé avoir été accompagné d’«un autre blanc» et de quelques congolais, quand ils ont découpé à la scie les corps des trois martyrs avant de les mettre à dis- soudre dans de l’acide.