Contre la politique libérale de Narendra Modi, les paysans indiens en pointe dans la lutte

Le conflit qui oppose les paysans des Etats du Nord-Ouest de l’Inde, principalement le Pendjab et l’Haryana, a commencé au mois de novembre 2020. Il est parti pour durer, et il a pris un tour plus agressif ces derniers jours, lorsque des milliers de manifestants ont débordé les barrages de la police autour de New-Delhi, le jour de la fête nationale.

Les paysans indiens occu- pent une place essen- tielle dans ce conflit. Possédant la deuxième surface agri- cole du monde, derrière la Chine, l’Inde comprend une très nom- breuse population rurale, avec 800 millions d’agriculteurs. La surface des exploitations est particulière- ment faible, près de 90% d’entre elles ayant moins de 2 hectares. Cela rend le monde paysan très vul- nérable. Mais, dans cette paysanne- rie, bat le coeur de l’Inde. Car, le pays a réussi à éradiquer la famine, encore présente il y a un demi-siè- cle, par une révolution verte qui augmenta les rendements et per- mis de sortir la grande majorité des Indiens de la sous-nutrition.

Parallèlement à cette révolution verte, les gouvernements successifs ont mis en place une politique de subvention des denrées agricoles de première nécessité, comme le riz, vendu à très bas prix dans tout le pays dans des échoppes gouver- nementales. Mais, comme toute médaille a son revers, cette réussite agricole s’est payée très lourdement sur le plan écologique par une importante pollution des nappes phréatiques. Pour cette raison, un Etat comme le Pendjab manquera d’eau potable dans vingt ans et, actuellement, le taux de cancer dans cette région est déjà en aug- mentation constante.

UNE TRÈS GRAVE CRISE DONTL’ÉVOLUTION EST INCERTAINE

Partant de ce constat, le gouverne- ment de Modi entend changer de cap, ce qui est légitime, mais il en profite pour appliquer une politique libérale de dérégulation qui aban- donne le soutien de l’Etat à tout le secteur.

La crise en cours a vu des cen- taines de milliers de paysans converger vers New Delhi, pour demander l’abrogation des lois qui vont démanteler le fonction- nement actuel de l’agriculture indienne. Les participants sont très déterminés et très organisés. La plupart d’entre eux sont venus avec de quoi tenir pendant six mois. L’entraide et la solidarité sont réelles dans l’ensemble de ces nombreux camps de paysans contestataires qui encerclent la capitale.

En première ligne, car majoritaires au Pendjab, les Sikhs ont mis en place des abris pour les plus dému- nis et des cantines collectives. Une large frange de la population sou- tient ce mouvement, témoignage de l’importance de l’agriculture dans la vie de tout un pays.

Dans un premier temps la cour suprême a suspendu l’application des lois. Mais cette suspension est jugée insuffisante et le mouvement s’est récemment durci, engendrant de la violence. Cette vaste protesta- tion est la plus importante que Narendra Modi ait dû affronter depuis son accession au pouvoir en 2014. Son évolution est incertaine, car, comme souvent de par le monde, un mouvement de longue durée risque de voir s’effriter la cohésion de la protestation, et la violence peut éloigner les indécis, et radicaliser les extrêmes. UN RÉGIME NATIONALISTE ET LIBÉRAL DE RÉGRESSION POUR L’INDE

En se saisissant avec opportunisme des conséquences écologiques d’une exploitation agricole très pol- luante, Narendra Modi programme la mort de pans entiers de l’écono- mie rurale. Au lieu de chercher les voies d’une solution négociée et consensuelle, il favorise ouverte- ment l’ouverture d’un marché dans lequel l’Etat laissera s’exprimer le pouvoir des plus puissants. Après avoir été le garant d’une stabilité des prix des produits alimentaires de première nécessité l’Etat va donc renoncer à ce contrôle pour laisser faire les lois du marché. On sait où cela mène. Nationalisme religieux aux relents ouvertement racistes, dérégulation économique et credo libéral, la politique de Modi conduira à un régime nationaliste et libéral de régression pour l’Inde. Dans ces conditions la lutte des paysans est un combat qui vaut pour tout un pays. C’est pour cette raison qu’elle doit retenir notre attention et notre solidarité.