Retour au pays natal :Quand la volonté surmonte les obstacles

Au moment où la Guadeloupe est confrontée à l’exode de sa jeunesse, et à la fuite de ses cer- veaux, certains conscients des enjeux entament le chemin du retour. C’est le cas de Mariette Monpierre qui a accepté de dévoiler son parcours et faire la transmission à la nouvelle géné- ration. Nouvelles Etincelles l’a rencontrée et elle a bien voulu répondre à nos questions.

Parlez-nous de votre parcours.Mariette Monpierre :Je suis née à Pointe-à- Pitre, j’ai grandi à Paris, et je suis réali- satrice de films. J’ai choisi de m’exiler aux Etats-Unis pour faire une carrière parce

que j’avais l’impression que la France ne m’offrait pas l’opportu- nité que je désirais. Je voulais être réalisatrice, me sentir libre et indépendante. Depuis deux ans, j’ai choisi de revenir dans mon pays parce que j’avais besoin de cet enracinement. Je désirais cette connexion avec la nature, avec la culture et j’ai senti que c’était le moment pour moi de revenir au pays pour transmettre aux jeunes ce que j’avais appris et mettre à dis- position mon expérience.Quel a été votre parcours durantvotre carrière et quelles sont vos réalisations ?

J’ai commencé dans la publicité aux Etats-Unis. J’étais productrice de publicité à New-York dans une grande boîte qui s’appelle BBDO. J’ai appris avec les meilleurs réalisa- teurs, les meilleurs monteurs, les meilleurs musiciens

. Mais je faisais de la publicité pour des entreprises qui ne me représentaient pas, qui ne racontaient pas mes histoires. Après 12 ans d’une belle vie, bien remplie, dans ce secteur où tout va vite et où nous sommes très courti- sés en tant que producteurs, j’ai donc décidé de laisser la publicité pour devenir réalisatrice et raconter les histoires de ma culture, de mon pays. Car si je ne l’avais pas fait, per- sonne d’autre ne l’aurait fait à ma place. Dans mes films, je partage ma vision, ma voie qui est unique mon opinion de femme noire gua- deloupéenne. Il y avait bien sûr des réalisateurs guadeloupéens qui fai- saient des films, mais c’était tous des hommes. A part d’Euzhan Palcy, la Martiniquaise qui m’a beaucoup ins- pirée et Sarah Maldoror, la première réalisatrice femme guadeloupéenne que j’ai connue, il n’y avait pas de modèle dans le cinéma. J’ai pris le taureau par les cornes et j’ai réalisé mon premier long métrage qui s’ap- pelle : «Le Bonheur d’Elza», qui est disponible aux Etats-Unis sur la pla- teforme KinoNow.com et aux Antilles sur Cinédiles caribbean, le site guadeloupéen de VOD.Est-ce difficile, d’être réalisatrice ?

C’est très difficile déjà pour une femme, mais pour une femme noire caribéenne c’est encore plus diffi- cile. Nous avons la barrière de la race, la barrière du genre féminin et des gens ont tendance à ne pas vous prendre au sérieux. Ce qui me donne un avantage car, étant un outsider, j’avance tranquille et je frappe là et quand on ne m’attend pas. Je n"ai pas la pression du favori.Est-ce plus facile de nos jours ?

Non, ce n’est pas plus facile. Il y a cette mode depuis le mouvement 50/50 et balance ton porc qui met- tent la femme peut-être un peu plus en avant, mais il s’agit de bien reca- drer tout cela. Pour l’instant, certaines femmes ont pu en profiter mais il s’agit d’une minorité. J’essaie de surfer cette vague. Depuis la mort de Georges Floyd, mes films intéressent beau- coup plus de plateformes. «Le Bonheur d’Elza»est particulière- ment visible sur les plateformes aux Etat-Unis dans des catégories telles que «Black Voices, Black Stories». Je suis un peu plus en demande, mais cette situation reste très fragile. Tout d’un coup les plateformes créent ce genre de catégorie pour attirer un public plus divers et aussi pour se donner bonne conscience. Ils sont à la recherche de films tirés de l’expérience de la culture noire, de films de femme mais il ne faut pas se leurrer, c’est dans l’air du temps, cela reste toujours une minorité.Quels conseils donneriez-vousaux jeunes qui souhaiteraient vous emboîter le pas ?

Le premier conseil que je peux don- ner, c’est de ne jamais abandonner son rêve et ne jamais se laisser dire que c’est impossible. Tout est possible si on y croit et si on le ressent dans ses tripes. Il faut sur- tout avoir cet appel du coeur. Même si on ne sait pas comment on va y arriver, si on a cette compréhension intuitive qui vous dit d’y aller, alors il f aut foncer. La Guade-loupe est un laboratoire de tout ce qu’on a envie de faire. Regardez ce qui se passe avec le Docteur Henry Joseph, avec sa découverte. La Gua-deloupe va ê tre placée sur la carte mondiale. Suivons l’exemple du Docteur Henry Joseph et allons jusqu’au b out de nos rêves.L’argent ne constitue-t-il pasun frein pour y arriver ?

L’argent est un frein. Il faut beau- coup d’argent pour faire du cinéma. Le secret est de savoir convaincre et rassembler les gens autour de votre vision et l’argent viendra. Les gens investiront en vous s’ils vous font c onfiance. Et puis, vous pouvez commencer petit. Évitez de repro- duire ce que tout le monde a déjà fait. Innovez ! Ce dont vous avez besoin est une idée forte, inédite, u ne approche différente. En fait, Hollywood et l’Europe n’ont plus d’idées. Ils luttent pour trouver de nouvelles histoires. Et vers qui se tournent-ils pour puiser des idées ? Les peuples autochtones, les mino- rités ethniques. Maintenant, c’est le moment de les surprendre avec nos histoires de «Soukougnan», des his- toires religieux-magiques, une science-fiction. Ce sont les séries qui marchent actuellement et je conti- n ue à développer ma propre série télé, «Une Guadeloupéenne à NY»C’est une comédie dramatique légère qui raconte les tribulations d’Isabelle, une étudiante guadelou- p éenne de 22 ans qui débarque à New-York sans argent, ni papier, ni logis. Elle rêve de trouver amour et s uccès à New-York. L’occasion pour moi d’oser aborder des thèmes autour de la femme noire comme on ne l’a jamais fait. Aux Antilles, notre univers, notre imaginaire, n’a pas encore été exploité. Profitons-en pour faire découvrir notre culture, nos res- sources et la beauté de notre pays.A vos caméras et Action !