Quelle alternative au féminisme libéral ?

«Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes mais bien de tout foutre en l’air». Lors du congrès fondateur de la 2ème Internationale des femmes socialistes, en 1889 à Paris, la journaliste et militante allemande Clara Zetkin, alors en exil en France, prononce un de ses premiers discours publics, réclamant la défense, par les socialistes, du droit au travail des femmes, ainsi que leur incor- poration à la lutte des classes.

S on discours porte et elle fait inscrire dans la nouvelle ligne politique de l"Internationale la revendication de l"égalité écono- mique, juridique et politique des femmes, le droit d"accéder libre- ment au travail, et la recommanda- tion d"inviter les socialistes de tous les pays à inviter les femmes dans la lutte des classes.

Il est bon de préciser que, quand on évoque le mot socialiste, nous sommes à mille lieues de la dérive social-démocrate qui caractérise nos «socialistes» à la mode.

L’objectif de cette nouvelle orienta- tion était bien de mobiliser les femmes en accord avec les organi- sations politiques et syndicales du prolétariat dotées de la conscience de classe. Il s’agissait clairement de contrecarrer l’influence des groupes féministes bourgeois.

Contester la légitimité, la logique et la justesse des luttes menées par les femmes pour l’égalité des droits n’est pas notre sujet.

Nous voudrions humblement mais consciemment attirer l’attention sur le fait que l’égalité en droit n’est pas égalité dans la vie ; les droits acquis, souvent, ne sont accessibles que pour un petit nombre de femmes. Pour nous, il doit y avoir corrélation entre la lutte pour les droits et celle contre le système social et écono- mique vecteur des inégalités et dis- criminations de toutes sortes. Or, le discours libéral, universel, transforme le féminisme en quelque chose d’inoffensive qui trop sou- vent se résume au droit de la femme d’avoir les quotas de pouvoir équi- valents aux hommes. Il vise simple- ment l’intégration de l’égalité à l’in- térieur du système en place qui est lui-même cause des inégalités.

Si le féminisme a pour but l’émanci- pation de toutes les femmes, il ne peut se passer d’une critique ciblée de l’ordre mondial établi qui repose en grande partie sur l’esclavage des femmes dans et provenant des pays maintenus dans la pauvreté par le capitalisme. Tant que le féminisme demeurera éloigné de ces préoc- cupations, aveugle à l’analyse de l’articulation entre patriarcat et capitalisme, pour s’engager sur le terrain de la lutte contre les inéga- lités, il confortera ces deux sys- tèmes au pouvoir.

Il apparaît clairement que la légitime lutte contre le patriarcat institution- nel mais également contre la socié- té capitaliste, vectrice de discrimi- nation et d’exclusion doit associer sexisme et racisme. La lutte pour le respect des cultures et civilisations induit forcément à considérer l’afro féminisme, le féminisme islamique sous peine de ne prendre en consi- dération que ce que certains dési- gnent par le nom de «blantriarcat». C’est-à-dire ce féminisme en mode mission civilisatrice, universaliste et profondément colonialiste héritage de l’histoire coloniale de l’Europe.

Cette perception ne prend pas en compte les problématiques des femmes «non conventionnelles». Elle considère l’excision comme seul problème des femmes noires et le port du voile comme fos- soyeur des maghrébines.

Certaines voix s’élèvent pour parler dorénavant de féminisme «décolo- nial» qui doit passer par une amé- lioration des conditions sociales de la majorité des populations, rédui- sant misère, promiscuité, dépen- dance, exil, désespoir, ignorance trop souvent sources de situations tragiques dont les femmes sont les premières victimes. Des femmes ne se reconnaissent pas dans cette suprématie occidentale et néolibé- rale qui ne considère comme valeurs de référence que ce qui est issu de leur culture, de leur percep- tion, de leur civilisation, de leur modèle économique.

En vérité, le féminisme doit rester dans son larèl originel et s’inscrire dans un mouvement anti capitaliste pour transformer la société et offrir aux femmes et aux hommes des conditions d’existence favorisant l’émancipation de l’être humain, fenêtre ouverte vers l’émergence d’un monde meilleur.