Eric Williams, intellectuel engagé«Capitalisme et esclavage»

Eric Williams (1911-1981) est un homme politique et un historien trinidadien qui fut Premier ministre de son pays de 1956 à 1981. Il est l’auteur d’un ouvrage important publié en 1944, «Capitalism and slavery» (Capitalisme et esclavage) qui, aujourd’hui encore, garde toute sa force.

J eune homme brillant, ayant quitté son île natale pour pour- suivre des études d’histoire à Oxford, il soutient une thèse d’his- toire en 1938, sur les aspects éco- nomiques de la traite des Noirs et de l’esclavage aux Antilles. Ce sera la base d’un des ouvrages les plus importants de la littérature histo- rique des Antilles. Militant à partir du début des années 1940, à Trini- dad, pour participer à conscientiser la population au sujet de l’histoire des Antilles, il créera le Parti national du peuple en 1956, et deviendra tout d’abord chef du gouverne- ment sous administration britan- nique puis Premier ministre de l’Etat indépendant, jusqu’à sa mort. Il est, avec son compatriote Cyril Lionel Robert James, un des intellectuels les plus influents des Antilles, un de ceux dont les idées sont toujours âprement discutées, signe évident de leur potentiel révolutionnaire.DES CONCLUSIONS FORTES QUI N’ONT PAS FINI DE RÉSONNER

Au terme d’une démonstration qui repose à la fois sur l’histoire sociale des Antilles, sur l’histoire économique de l’esclavage et du commerce antillais, et sur l’analyse du discours des abolitionnistes anglais, Eric Williams parvient à trois conclusions fortes qui n’ont pas fini de résonner :

- La richesse dégagée grâce à l’es- clavage et à la traite dont il provient, a permis de constituer ce que les Marxistes appellent une accumu- lation primitive, et qui a servi de point de départ à la révolution industrielle du XIX ème siècle

.

-L’esclavage a été aboli parce qu’il s’avérait moins profitable que la libre entreprise (avec le salariat) et qu’il constituait un frein à son développement.

- Enfin, conséquence de ce qui pré- cède, l’abolitionnisme anglais n’est p as basé sur une pensée humani- taire généreuse mais sur des choix d’efficacité économique.UNE CONTESTATION R ÉVÉLATRICE

C’est peu dire qu’un certain nombre d ’historiens se sont indignés de ces conclusions. Les uns ont cherché à montrer que l’esclavage n’était pas si peu rentable qu’il ait fallu l’abolir pour augmenter le profit. D’autres, au contraire, ont cherché à prouver que l’esclavage et la traite n’étaient pas rentables, et que le capitalisme avait en fait libéré généreusement les esclaves ! Le summum semble atteint avec cet historien qui insinue que le trafic d’esclaves a en défini- tive plus rapporté à l’Afrique qu’aux trafiquants. On est dans la négation de crime contre l’humanité. Mais cette manière de faire de l’histoire n’est pas surprenante si on se reporte à ce que nous voyons fré- quemment dans les médias : des économistes se mettant à jongler avec des chiffres, en oubliant tout simplement que derrière ces chif- fres, il y a des hommes et des femmes en chair et en os. Donc une contestation révélatrice UN OUTIL POUR FAIRE DE L’HISTOIRE DES ANTILLES UN ENJEU DE LUTTE DES CLASSES

Il y a dans l’ouvrage d’Eric Williams un dernier chapitre dont on parle peu et qui est pourtant tout aussi important que le reste. Il s’intitule«Les esclaves et l’esclavage».

Williams souligne que la plupart des historiens ignorent tout simple- ment le rôle des esclaves. Ne voir dans l’évolution des Antilles en général et au XIX è me siècle, en parti- culier, que le rôle des colons et des métropoles, c’est perpétuer par d ’autres moyens l’exploitation esclavagiste, qui enlève aux indivi- dus toute existence autre que celle d ’une marchandise. Il suffira de rap- peler très brièvement quelques révoltes qui prennent place au XIX è me pour montrer le rôle éminent des esclaves dans l’évolution vers l ’abolition : conspiration d’Aponte à Cuba (1811), révolte du Carbet en Martinique (1823), révolte de Nat Turner aux USA (1831), guerre baptiste en Jamaïque (1831-32) et bien sûr dès le départ indépendance d’Haïti (1804) qui domine toute cette période et projette sa lumière sur toute l’Amérique esclavagiste.

L’ouvrage d’Eric Williams est plus qu’un livre important, c’est un outil pour faire de l’histoire des Antilles un enjeu de lutte des classes. En Guadeloupe, cela n’a rien d’une for- mule littéraire. Ceux qui n’ont pas la mémoire courte se souviennent que lors de la signature de l’accord Bino le principal syndicat patronal a refusé sa participation pour une phrase (une phrase !) qui rappelait la pérennisation du modèle de l’éco- nomie de plantation. On le voit bien«Capitalisme et esclavage»est un ouvrage d’actualité !