Au nom de la vérité historique et au nom de la dignité humaine !

«Ne dites jamais : "c"est naturel"afin que rien ne passe pour immuable»… Lorsque des crimes commencent à s’accumuler, ils deviennent invisibles. B ertolt Brecht Les crimes du colonialisme fran- çais en Guadeloupe et l’escla- vage comme fondateur de l’opu- lence européenne, doivent être reconnus par la France, au nom de la vérité historique et au nom de la dignité humaine… Mais elle ne le fera pas. C’est à nous de le dire et de l’écrire !

I$ n’y a pas eu cette année 2021 de grandes commé- morations autour de la loi de 1946 instituant les quatre vieilles colonies en départements fran- çais, Covid oblige.En dehors de ce contexte, il convient d’observer que les Guadeloupéens se rendent compte, de plus en plus, que la transformation de la Guadeloupe en colonie départementalisée n’a rien changé fondamentalement à la structure du pouvoir économique et administratif chez nous, comme en témoigne la circulation intensive sur les réseaux sociaux de l’organi- gramme des institutions étatiques et para étatiques, tout comme celui des grandes structures privées chez nous, terre d’émigration devenue aussi terre d’immigration, pour emprunter à Aimé Césaire.

Dès 1951, André Rousselet, sous- préfet de Pointe-à-Pitre, venu, écri- vait-il, «pour mettre en place les instruments de la Départemen- talisation, organiser les plans d’équipements…», se rendra très vite compte que «le problème de l’île c’est que tout repose sur une structure historiquement coloniale qui ne changera pas du jour au lende- main… On se coule dans des schémas prédéterminés par le colonialisme le plus obtus. Toute l’économie du terri- toire, tout ce qui relève de services essentiels pour la population est aux mains de quelques riches familles locales ou métropolitaines. Une grande partie de la population noire… ignorée ou marginalisée… ne demande qu’à être reconnue dans ses droits. Ce sont alors des troubles, des conflits sociaux, des grèves, par- fois des émeutes violentes et il faut intervenir. Tout cela au fond, plus ou moins exprimé, de conflit racial» 1.

Rousselet décrit en 1951, «un monde issu de l’esclavage» 2et constate avec amertume que «les békés possèdent presque tout. Les cli- vages se font sur le foncier ou la cou- leur de peau» 3. Le décor est com- plété par «l’employé ou fonction- naire venu de métropole qui se com- porte en conquérant de la Départe- mentalisation. Ils occupent dit-il, souvent des postes qui étaient avant, ceux des Guadeloupéens. Ils arrivent avec l’arrogance de ceux qui savent tout, qui sont supérieurs, et, attribut suprême, qui sont blancs» 4.

«Ce racisme épouvantable, dit-il ne s’exprime pas uniquement dans les rapports sociaux. Non. Il est perma- nent. Omniprésent. C’est racisme à tous les étages …» 5 .QU’Y A-T-IL DE CHANGÉEN 2021 ?

Le discours officiel fait état du nom- bre de lits d’hôpital, du parc auto- mobile en progression, tout comme d’autres variables arithmé- tiques qui font partie du système de justifications d’un colonialisme qui se voile pudiquement dans les limbes de l’Assimilation. Et pourtant l’Histoire est tenace. Elle est por- teuse d’une violence criminelle que le soi-disant Soft colonialismd’au- jourd’hui ne saurait gommer : celle de Duval où des ouvriers en grève sont passés par les armes, celle de la tuerie de février 1952, au Moule, la barbarie sanguinaire de Mai 67, l’as- sassinat de Charles Henri Salin…

Michel Leiris, dès les années 50, posait avec lucidité le cadre de réfé- rence : «comme cela arrive presque régulièrement… ce sont des individus différant non seulement par leur situation sociale mais par leur race qui se trouvent s"affronter : d"une part les employeurs blancs et leurs cadres directeurs, d"autre part la main-d"oeuvre de couleur. Que cette grève donne lieu à des incidents, et les camps sont ainsiconstitués que c"est entre gens de races distinctes que le sang vient à couler… En Guadeloupe le 14 février 1952, ce sont les CRS (Blancs métropolitains) qui tuent plusieurs personnes de cou- leur dans la ville du Moule» 6. CELA, LA FRANCE NEL’A JAMAIS RECONNU !

UN PLANETARISME DEVOYE POUR TROUBLER LES MEMOIRES, GOMMER LES CRIMES COLONIA- LISTES ET ANIHILER TOUT DESIR D’EMANCIPATION POLITIQUE.

J’entends d’ici, les cris d’orfraie de ceux qui, au nom d’un planéta- risme dévoyé, accompagnent les Zemmour, Alain Finkielkraut, par- tisans de la non repentance, au nom d’une histoire consensuelle, pour mieux disqualifier et nier l"histoire des opprimés, des vic- times du colonialisme.

Le fait est que la France et ses diri- geants sont frileux face à leur his- toire coloniale, qu’ils refusent d’assumer. La repentance n’effa- cera pas les crimes et elle ne va dédouaner quiconque. La repen- tance ce n’est pas notre souhait, car elle ne va solder les blessures mémorielles, elle ne va pas entrai- ner la reconnaissance des faits et celle de la responsabilité politique des événements du passé.

Il convient de le dire : nous n’atten- dons rien et n’aurons rien. C’est à nous Guadeloupéens, qui luttons pour notre émancipation de répon- dre à ce défi mémoriel et de bâtir nos programmes scolaires, d’écrire notre histoire, qui ne sera pas celle des généraux, des bâtisseurs d’em- pire, des pacificateurs armés jusqu’aux dents, mais celle de notre peuple, dans toutes ses compo- santes, lesquelles doivent tendre vers l’impulsion d’initiatives mémo- rielles communes, pour mieux valo- riser notre indiscutable contribution à la grande humanité.

Au stade actuel de la réalité poli- tique, et sans oublier que la véritable émancipation est dans la direction des affaires guadeloupéennes par l es Guadeloupéens, le combat pour un statut moins anesthésiant que celui de la Départementalisation, p lus responsable que celui d’une périphérie accrochée à un centre, nous permettrait, en nous réconci- liant avec notre histoire et en l’ap- prenant à nos enfants, de dévelop- p er l’estime de nous-mêmes et de f aire peuple, face aux autres, sans se dissoudre dans une assimilation qui ne fera de nous que des Français e ntièrement à part, comme l’écri- vait Euvremont Gène dans l’Etincelle des 26 novembre et 10 décembre 1960.

1 ) André Rousselet - avec Marie-Eve Chamard et Philippe K ieffer - A mi-parcours - mémoires - éditions Kero - Paris 2 015 - Pages 69, 70 2 ) A mi-parcours - mémoires - André Rousselet - éditions K ero page 68 3 ) A mi-parcours - mémoires - André Rousselet - éditions K ero page 70 4 ) A mi-parcours - mémoires - André Rousselet - éditions K ero - Page 73 5 ) A mi-parcours - mémoires - André Rousselet - éditions K ero - Page 70 6 ) Michel Leiris - Contacts de civilisations en Martinique e t en Guadeloupe. Paris : Unesco - Gallimard, 1955, 192 p p. Collection Race et société, page 123