«Enfants de Guadeloupe»

Si nous consacrons cet article spécial «Enfants de Guadeloupe» c’est simplement parce que des observations faites par un «oeil» extérieur nous a amené à nous poser certaines questions. Vous me pardonnerez d’utiliser le «je» mais je veux assumer mes dires qui rejoignent ce que pen- sent beaucoup de Guadelou- péens que j’ai interrogé à ce sujet par la suite.

E nseignante au primaire pen- dant plusieurs décennies, j’ai d’abord été fortement aga- cée par les paroles de plusieurs ins- pecteurs qui, de passage en Guade- loupe, trouvaient nos enfants «agi- tés». Je dis bien «agités» et non pas «indisciplinés».

Mais les années passant, j’ai dû me rendre compte, comme d’autres collègues, qu’il y avait quelque cho- se de «vrai» dans ce qui était dit de nos enfants du primaire. Jusqu’aux années 2000, les relations entre les maîtres et les parents d’élèves étaient correctes dans l’ensemble, contrairement à certaines dérives constatées aujourd’hui.

Ce que je vais expliquer par la suite n’est peut-être pas valable pour toutes les écoles de Guadeloupe, heureusement (c’est l’exception qui fait la règle), mais il est vrai qu’au fil du temps, à moins d’avoir une poigne de fer, ce qui risquait de vous coûter votre carrière, les messages à faire passer aux enfants se faisaient souvent dans une atmosphère «active» et «bourdonnante».

Ces deux adjectifs, je les emprunte aux abeilles pour bien montrer qu’il ne s’agit pas de mettre en doute l’intelligence des enfants qui sont parfois de très bons élèves mais qui «ne tiennent pas en place» et ceci à quelque milieu social qu’ils appartiennent.

Illustrons nos propos : en classe, les enfants ne s’écoutent pas, parlent tous ensemble, se chamaillent pour un rien etc., ce qui épuisent les maî- tres parfois eux-mêmes fragiles. Les chauffeurs souvent sont exaspérés par des «gosses» qui lors d’excur- sions laissent dans les cars des détri- tus (papiers, restes de repas...) mal- gré toutes les recommandations faites avant le départ.

Lors de voyages à l’étranger, alors qu’ils côtoient des enfants en uni- forme, alignés et silencieux, ceux de chez nous ont toujours faim, soif, envie d’aller aux toilettes, pleurnichent etc… Ce n’est pas caricatural, c’est strictement vrai. Cela ne nous empêche pas d’ai- mer nos enfants, de les «gâter» et c’est peut-être là le problème.

Lors d’une réunion parents-pro- fesseurs, un professionnel inter- rogé a souligné le côté «latin» de notre éducation : Italiens, Espagnols, Français seraient plu- tôt «bruyants», les Anglo- saxons seraient, eux, plutôt froids. Une assistante sociale a reconnu avoir perdu la voix après avoir accompagné des enfants en voyage en France.

Ne faut-il pas alors se poser les bonnes questions, alors que la situa- tion se dégrade ?

- Les lois votées ont-elles dérespon- sabilisé les parents ?

- Les adultes (on pense aux poli- tiques) donnent-ils le bon exemple lors de débats télévisés ?

- Le chlordécone, dont on dit qu’il a un effet sur les grossesses, peut- il être mis en cause ? On pourrait en dire autant de la drogue lorsqu’elle est consommée pen- dant la grossesse.

- Cette agitation permanente peut- elle conduire à la violence ?

Nous n’avons pas les compé- tences pour répondre à ces ques- tions. C’est pour cela que nous avons demandé un décryptage à un professionnel connu de la place. Car, il nous semble qu’il faut une certaine discipline pour construire le pays que nous laisse- rons demain à nos enfants. RAYMOND OTTO, SOCIOLOGUEIl est toujours très diffi- cile de prendre la dis- tance nécessaire pour se projeter dans une analyse objec- tive de l’image que nous renvoient les enfants et singulièrement dans ces petites unités de vie. En effet, nous utilisons souvent des réfé- rences qui ne nous correspondent pas en termes de pertinence et sur- tout au égard de nos formations respectives. Pour que ce qui s’est dit antérieurement soit vraie, il faudrait rajouter dans un premier temps la donnée mobilité et secondement la donnée éducative.

En effet, les enfants d’hier deve- naient des élèves en franchissant le portail des établissements et nul était besoin de leur rappeler le lieu et encore moins son respect. Nous étions encore dans un format d’an- cienne colonie et donc le levier de l’école était encore pour les parents, l’endroit par excellence où l’on pouvait encore s’affranchir de sa condition miséreuse et emprunter l’ascenseur social. De ce fait, dans une telle acception les enseignants étaient considérés comme des notables, adulés dans une société guadeloupéenne frai- chement intronisée de départe- ment français.

Il était important pour les parents de l’époque que leurs enfants sachent se tenir en public et donc nous étions encore dans la dyna- mique de «sizéw’ et pé an lékol a moun là». Les années 80-90 vont nous ramener des enfants qui n’opéreront pas la transformation en franchissant le portail de l’école et de fait avec la création des associations de parents d’élèves, les notions de droits et un peu moins de devoir vont venir pertur- ber l’exercice de l’autorité du corps enseignants.

Les enfants ne seront pas devenus plus turbulents, sauf que la psycho- pédagogie étudiée à l’époque et les concepts qui y sont rattachés vont devenir des références dans la for- mation des enseignants, appliquées sans adaptation sur l’ensemble du territoire national.

Le drame qui s’est joué à cette époque, sera le fruit de l’opposi- t ion de méthode entre le maître d’école qui avait l’habitude d’as- soir son autorité pour commencer s on enseignement et l’enseignant qui lui se conformait au rythme des directives ministériels. C’est à ce moment où l’école va perdre l’élève et l’enfant pour rentrer dans une course frénétique pour les concepts et transformer le pro- fessionnel de l’enseignement en une machine complexe qui aura perdu son coeur de métier et de fait, son âme et son éthique.

L’école de la République va devenir Education nationale et perdre de vu, que le premier éducateur de l’enfant c’est son parent. Autrement dit, si encore l’ensei- g nant avait sa place en pouvant

s’inviter dans la famille, le profes- seur des écoles va devenir «un machin» qui semble penser que l ’élève est le saint graal et l’enfant une imperfection à remodeler en fonction des filières. Nous som- mes responsables des évolutions constatées car, nous aurons pris le pari de collaborer et un se projeter dans une vision qui ne nous cor- respondait pas.

Aujourd’hui, nous nous renvoyons la balle, car nous sommes aussi ina- daptés parents-professeurs des écoles références sociétales d’au- jourd’hui, car nous avons pris le pari de ne pas faire le job et de se pour- f endre derrière les évolutions légis- latives qui n’auront jamais empê- chées de faire preuve de créativités pour rendre vivant l’une des plus belles actions : la transmission et la f ormation des hommes.

Les enfants d’hier et d’aujourd’hui n’ont pas changé, simplement il fau- drait les remettre dans leur dyna- mique d’apprenant, en évitant au passage de les adultifier. Les élèves d’aujourd’hui sont encore sensibles à la discipline dès lors que l’adulte qui est en face d’eux reste congruent, et c’est peut-être cela la difficulté, lorsque l’on voit l’école de la République aujourd’hui.