Maurice Bishop (1944 -1983) : Un combat pour la liberté

Evoquer le nom de Maurice Bishop aujourd’hui, ce n’est pas seulement faire vivre la mémoire d’un héros tombé dans la lutte pour la liberté et l’émancipation des peuples. C’est replacer l’ac- tualité brûlante dans le long terme, pour mieux en compren- dre les enjeux.

On sera peut-être surpris de le voir énoncer ainsi mais, parler de Maurice Bishop, maintenant, cela a un rapport direct avec les choix électoraux que chacun de nous fera lors des prochaines élections.

Avocat de formation, Maurice Bishop a bénéficié, dès avant l’indé- pendance, d’un charisme certain dans son pays. Petit Etat du sud de la Caraïbe (deux fois la superficie de Marie-Galante), la Grenade devient indépendante en 1974. A cette date, Maurice Bishop est déjà un dirigeant politique confirmé, et son Parti, le Mouvement pour les Assemblées du peuple (MAP), vient de fusionner avec le mouve- ment Jewel (en français, «Effort commun pour le bien-être, l’éduca- tion et la libération») pour donner le New Jewel Movement (NJM). Ce mouvement d’inspiration socialiste s’oppose, dès avant l’indépendance, à celui qui dirige alors la transition vers l’indépendance, Eric Gairy, et qui apparaît comme un vrai dicta- teur, ayant noué par exemple des alliances avec le Chili de Pinochet. De fait, la répression contre le New Jewel Movement sera immédiate et meurtrière. Le propre père de Maurice Bishop est tué par la milice de Gairy, le «Mongoose Gang» (le gang des mangoustes), sorte de tonton-macoutes grenadiens. Les années suivantes voient l’aggrava- tion de toute cette politique.

UNE POLITIQUE PROGRESSISTE

En 1979, profitant d’un voyage d’Eric Gairy aux USA, Maurice Bishop et quelques membres de son parti, une cinquantaine au total prennent le pouvoir, quasiment sans uncoup de feu, mais avec deux morts malheureusement. Dès lors, se met en place dans la Caraïbe, la deuxième expérience socialiste, après Cuba. Celle-ci sera confrontée à d’immenses défis. Cette politique progressiste tentera de mettre en place une politique sociale, vis-à-vis des plus modestes, en développant l’édu- cation, la santé, et en aidant les agriculteurs.

Cette expérience socialiste soulè- vera un profond mouvement de sympathie dans la Caraïbe et au- delà. Les jeunes générations ne sont sans doute pas conscientes du grand vent d’espoir qui traver- sait alors un certain nombre de pays du tiers-monde. On voyait sur la même photo, Bishop de la Grenade, Ortega du Nicaragua, Manley de la Jamaïque et Castro de Cuba. Si cela avait été possible en 1983, Sankara du Burkina Faso aurait pu être sur le cliché.DES ERREURS ETDES DISSENSIONS

La fin tragique de Maurice Bishop, assassiné le 19 octobre 1983, avec sept de ses compagnons dont sa compagne Jacqueline Crest, vient clore brutalement l’expérience. Ce coup d’état violent s’explique en partie par des rivalités internes au sein du NJM, et l’ambition person- nelle du second de Bishop, Bernard Coard. Mais, il intervient aussi dans une situation de moins en moins contrôlée par le pouvoir qui fait face à l’hostilité américaine, avec le Président Ronald Reagan et à des difficultés économiques et des ten- sions politiques intérieures grandis- santes provoquées par des erreurs et des dissensions. L’absence d’élec- tion depuis 1979, date de la prise de pouvoir, prive le NJM d’un levier pour asseoir sa légitimité, et l’hosti- lité de plus en plus forte de la bour- geoisie locale, aggravent la situa- tion. Contrairement à ce qui était espéré, l’expérience du gouverne- ment populaire révolutionnaire de la Grenade ne fait pas école dans la région et l’isolement du pays au sein des Etats de la Caraïbe s’accentue.UNE ÉLIMINATION PHYSIQUEPURE ET SIMPLE DE MAURICE BISHOP

Les derniers mois de la vie de Bishop le montre aux prises avec une série de tentatives pour conci- lier une orientation socialiste, une économie de marché régulée et le retour du tourisme nord-américain pour redresser l’économie. Ces ten- tatives s’avèreront infructueuses et les maximalistes de son régime, Bernard Coard en tête, décideront de l’élimination politique de Bishop pour «opportunisme petit-bour- geois», qui, à la faveur d’une situa- tion confuse, deviendra une élimi- nation physique pure et simple.

De fait toutes les problématiques de cette époque, impérialisme et poids des multinationales, indépen- dance économique et développe- ment social, politique progressiste et environnement international n’ont pas pris une ride. Elles sont exactement celles que nous affrontons aujourd’hui, à tous les niveaux. De ce point de vue, l’his- toire de l’expérience socialiste de la Grenade reste toujours vivante, et doit être connue. Les Grenadiens l’ont sans doute bien compris, eux qui ont donné le nom de Maurice Bishop à leur aéroport. Il y a là un message à méditer.