Détournement d’un avion par la Biélorussie :La France, 1 er Etat pirate de l’air

En détournant un avion de ligne de la compagnie Ryannair, pour mieux intercepter et emprison- ner un opposant politique, l’au- tocrate biélorusse Loukatchenko a soulevé une émotion compréhensible.

Si demain les vols commer- ciaux doivent être menacés lors du survol d’un pays, pour des raisons qui touchent à la politique intérieure de ce pays, quelles qu’elles soient, le monde verra s’amoindrir encore un peu plus la libre circulation déjà bien mal en point. Et il faut dénoncer vigou- reusement cet acte d’Etat voyou. Les pays occidentaux auraient tou- tefois tort de s’ériger en donneurs de leçon, comme ils le font assez régulièrement. Qui a décidé de fer- mer son espace aérien à l’avion pré- sidentiel d’Evo Morales en 2013, pour l’obliger à se poser en Autriche, afin de subir une inspec- tion de ses passagers ? La France, l’Espagne et l’Italie qui ont fait de cette façon le travail des Américains qui soupçonnaient l’avion bolivien de ramener Edward Snowden pour un asile politique en Bolivie. Les excuses de ces pays n’ont trompé personne. Il s’agissait d’un véritable acte d’hostilité envers un pays souverain, visant, qui plus est, un avion jouissant de l’immu- nité diplomatique. On s’attendrait donc, de la part de ces pays, à un minimum de décence dans leurs protestations vertueuses.LA FRANCE, PREMIER ETATPIRATE DE L’AIR

Mais, dans ce domaine, la palme revient sans doute à la France colo- niale de 1956, qui commit à cette époque un acte de piraterie aux conséquences très lourdes. Le 22 octobre 1956, elle obligeait, en effet, un avion d’Air Maroc à atterrir à Alger. Parti de Rabat au Maroc, celui-ci devait rejoindre Tunis, avec à son bord, cinq des plus impor- tants dirigeants du Front de libéra- tion nationale algérien (FLN), Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf. Ceux-ci étaient attendus à Tunis pour une conférence avec les partis frères du Maghreb. Cette ren- contre, susceptible d’avoir une importance décisive, en créant un rapport de force, pouvait conduire à des négociations de paix. La déléga- tion s’apprêtait en effet à faire une offre de gouvernance commune de l’Algérie avec les Français d’Algérie et les Algériens. Arrêtés à la des- cente d’avion, les cinq dirigeants seront incarcérés jusqu’en 1962. Avec eux s’envolait l’espoir d’un règlement négocié du conflit.

UN POUVOIR FAIBLE, UN LOBBYJUSQU’AU-BOUTISTE

La décision d’intercepter l’avion fut prise, en dehors de toute chaîne de commandement par, des directeurs de cabinet suivant les consignes du lobby Algérie-française, mais aussi surtout des autorités militaires en Algérie. Celles-ci vont organiser ce détournement sans l’aval des plus hautes autorités civiles, celles-ci lais- sant ainsi place à une sorte de pou- voir parallèle qui finira par se mon- trer au grand jour avec les putsch des généraux d’Alger en 1961. Le pouvoir socialiste de Guy Mollet s’avèrera dans toute cette période, et en particulier avec cet acte de piraterie, d’une grande mollesse face à ceux qui rêvaient d’en découdre avec la résistance algérienne. Le résultat est connu. La guerre d’Algérie qui s’engagea alors fit des centaines de milliers de morts côté algérien (sans doute 400 000) et 75 000 du côté français (en comptant les soldats et les harkis). Les Européens eux-mêmes eurent des milliers de victimes et l’exode des pieds noirs, dont beaucoup étaient des gens modestes, concerna un million de personnes. A l’intérieur de l’Algérie, les déplacements de popu- lation ont touché 20 à 30% de la population totale. C’est peu dire que l’arrestation des dirigeants du FLN eutde très lourdes conséquences. UNE LEÇON DE PLUS POURL’HISTOIRE, OCCULTÉE PAR LA FRANCE

S’il y a une leçon à tirer de cet acte de piraterie, que la France se garde bien de faire connaître, c’est une fois de plus la double constatation, d’une part que l’on peut arrêter des hommes, si haut placés soient-ils, on n’arrête pas des idées, et celles de liberté et d’indépendance nationale en font partie, d’autre part, on vérifie là encore que les armées d’occupation n’ont jamais le dernier mot face à un peuple. Cette leçon n’est toujours pas admise malheureusement, et certains peuples continuent de l’ad- ministrer aux puissances occu- pantes, de la Palestine au Kurdistan et du Sahara au Tibet, dans la lutte et à travers des souffrances consi- dérables. Les communistes, quant à eux, savent tenir compte des leçons de l’histoire et gardent, grâce à elles, un espoir toujours intact de transformer le monde vers plus de justice et de paix.