Le Jacobinisme s’en prend aux langues régionalesÀ nous de défendre le Créole !

Cet événement est sans doute passé inaperçu, mais nul doute qu’il a son importance dans le champ culturel politique patri- monial de la Guadeloupe. Le 8 avril 2021, l’Assemblée natio- nale française avait adopté par 247 voix contre 76 une proposi- tion de loi déposée par le groupe Libertés et Territoires, qui deviendra la Loi Molac, «relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur pro- motion», et ce contre une coali- tion L REM -France Insoumise et l’avis défavorable du ministère de l’Education nationale, Blanquer.

Ce texte était présenté comme une victoire des défenseurs des langues régionales ; À ce titre, il devenait possible de mettre en place des signalétiques bilingues avec l’appo- sition tant sur les bâtiments publics que des panneaux de signalisation, voire des documents de communi- cation institutionnelle, des inscrip- tions en français et en langue régio- nale. De ce point de vue, la signalé- tique routière en Guadeloupe n’avait pas attendu le vote de cette fameuse Loi Molac pour marquer notre paysage.

L’autre disposition de la loi figurait dans le retour des signes «diacri- tiques», dans les états civils, avec l’accent aigu sur le «o», le «u» ou le «i» en catalan, l’accent grave sur le «e» en Occitan… Tout comme les particularités propres à la langue créole.

Mais la mesure la plus spectaculaire du texte résidait dans le fait qu’il était possible désormais de prati- quer un «enseignement immersif», entendons par là, un enseignement complet en langue régionale : cela pourrait être pour nous, des cours de mathématiques en créole, des coups de géographie en créole, des cours d’histoireen créole, celui-ci deve- nant carrément l"égal du Français dans la pratique de l’enseignement.LE CENTRALISME JACOBINS’EN PREND AUX LANGUES RÉGIONALES

Mais l’État jacobin est revenu à la charge et c’est ainsi que, poussée par Jean-Michel Blanquer ministre de l’Éducation nationale, une soixantaine de députés de la majo- rité présidentielle saisit le Conseil constitutionnel, lequel va lézarder considérablement le texte, le 21 mai 2021 en disant carrément non à l"«enseignement immersif» des langues régionales, principe qui consistait à utiliser ces langues pen- dant le temps scolaire ; le Conseil constitutionnel s’appuyant pour ce faire sur l’article 2 de la Constitution selon lequel «les particuliers ne peu- vent se prévaloir, dans leurs relations avec l’administration et les services publics, de droit à l’usage d’une langue autre que le français», car aux termes du premier alinéa de l’ar- ticle 2 de la Constitution, «la langue de la République est le Français»et ce, même si une révision du texte en 2008 avait précisé que «les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France».

Faut-il rappeler que la France est par ailleurs signataire de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais qu’elle refuse sa ratification, qui l’obligerait à modifier l’article 2 de la Constitution.

De même, était passé à la trappe l’article 9 du texte relatif aux signes diacritiques, au motif que l’utilisa- tion de ces signes était contraire à l’article 2 de la Constitution.

Par contre, sont restées intactes les nouvelles dispositions aux termes desquelles les collectivités pour- raient prendre en charge financière- ment la scolarisation des enfants suivant des enseignements de langues régionales.

Ce coup de rabot effectué par les «sages» a été à l’origine de mouve- ments de protestation en France.NOUS NE POUVONS RESTERINDIFFÉRENTS !

Le débat n’a pas eu l’air de nous intéresser, et pourtant nous som- mes concernés au premier chef dans la mesure où le Créole est la langue maternelle de la quasi-tota- lité des Guadeloupéens. Il est pré- senté par beaucoup comme la langue de l’émotion, incapable de transcrire un discours scientifique en matière d’enseignement, alors que les expériences menées çà et là, et l’on pense à Gérard Lauriette, entre autres, à Dany Bébèl Gisler, montrent bien que, «la langue créole, force jugulée»sert de s upport positif quand il s’agit de casser les codes de l’accultura- tion à la française.

Nous faut-il réellement attendre q u’une évolution nous tombe du ciel pour qu’enfin nous puissions décider de l’orientation à donner à n otre pays ? La France vient de montrer encore une fois, son inca- pacité chronique à sortir de sa cul- ture jacobine. Il y a de quoi sourire quand on pense qu’en Espagne, qui bénéficie d’une décentralisation importante avec ses communautés autonomes et où la charte euro- péenne a été ratifiée, le Galicien, le Basque, le Catalan, le Valencien, quatre langues co-officielles vien- nent d’être autorisées au Parle- ment espagnol, en sus du castillan, disposant d’un statut officiel, leur permettant de figurer dans l’es- pace public, les mairies, les tri- b unaux, les universités…

Nous devons admettre qu’ensei- g ner aux petits guadeloupéens dans leur langue maternelle est un élément déterminant de la r éussite éducative.

Colonie française départementali- sée, régie par l’article 73 de la Constitution, nous subissons de par l’identité législative les fluctuations identitaires d’un pays soumis à la montée de l’extrême droite et qui se sent obligé de plus en plus à regar- der son nombril.

Rémy Nainsouta et ses amis fonda- teurs de l’Académie créole n’avaient pas attendu qu’à 7000 km, une Assemblée les autorise à reconnaî- tre leur identité créole. Si la loi, malgré le fait qu’elle ait été retoquée, offre la possibilité a ux collectivités de véritablement soutenir l’enseignement du Créole sur leur territoire, il serait i ntéressant de savoir si cette question occupera le champ des discours durant la campagne pour les élections régionales et départementales.

Nous cependant n’en démordons pas : seule l’érection d’une collec- tivité nouvelle, dans le cadre de l’article 74, disposant de pouvoirs étendus en matière de culture pourra nous permettre de donner au Créole sa véritable place dans l’éducation des enfants, dans sa diffusion comme moyen pour notre peuple de s’émanciper du néocolonialisme français.