Où va la Tunisie ?

La Tunisie fut l’un des pays où le «Printemps arabe» de 2011 souleva les plus grands espoirs de renouveau démo- cratique. Mais, aujourd’hui, on semble bien loin de l’en- thousiasme d’alors.

Le mouvement de révolte, appelé le «Printemps arabe», qui toucha de près ou de loin une quinzaine de pays, du Maroc à la Somalie, eut des consé- quences très variables selon le pays. Renversement des régimes en place comme en Tunisie ou en Egypte, réformes comme au Maroc, statu quo et répression ail- leurs, voire guerre civile comme en Syrie, en Libye ou au Yémen. En fait, presque partout, aucune véritable révolution débouchant sur une nouvelle donne, sauf en Tunisie qui s’est dotée en 2014 d’une nouvelle Constitution et semblait avoir tourné la page de la dictature de Ben Ali, de façon progressiste.

LE PARTI ISLAMISTE ENNAHDHAAUJOURD’HUI EN DÉCLIN

Premier parti en nombre de sièges aux premières élections, après la chute de Ben Ali en 2011, le parti islamiste Ennahdha a été au centre de la vie politique depuis, même s’il a subi un revers en 2014 pour redevenir la première formation à l’assemblée en 2019. Parti isla- miste se donnant une image publique modérée et moderne, il a toutefois été accusé d’avoir un double langage beaucoup plus conservateur et réactionnaire dans les mosquées. Son influence est aujourd’hui en déclin, en raison surtout d’une gestion catastro- phique de la pandémie.

En effet, depuis quelques mois, la Tunisie affronte une situation hors de contrôle du Covid. Avec une des plus hautes mortalités de la planète (environ 10 morts par jour pour 100 000 habitants), des hôpitaux dans lesquels l’oxygène manque cruellement pour les patients en réanimation et des stocks de vac- cins insuffisants, la Tunisie n’a pas les moyens de faire face à la vague qui la frappe. Une aide internatio- nale, venue d’Europe, de Chine, des pays du Golfe, a permis de fournir des millions de doses de vaccins pour endiguer cette catastrophe. Mais les dégâts sont là.UNE DÉCISION QUI PEUT S’APPELER UN «COUP D’ETAT»

Les retombées de la pandémie sur l’économie sont considérables. On estime que dans la population jeune, le chômage a doublé dans les deux dernières années, passant à 40%. La mauvaise gouvernance durant toute cette période a été montrée du doigt par la popula- tion qui incrimine le parti Ennahdha. Ses soutiens popu- laires s’effritent et fragilisent sa position de premier parti. Mais il y a plus grave. Le consensus poli- tique sur des réformes de fond est en panne et de nombreuses réformes sont restées paroles ver- bales. L’Assemblée nationale sem- ble paralysée et la remise sur pied du pays ne se fait pas.

Prise le 25 juillet, la décision du Président de la Tunisie, Kais Saïed, de suspendre le Parlement, de ren- voyer le gouvernement, d’arrêter un certain nombre de députés et enfin de s’attribuer les pleins pou- voirs, ne peut pas s’appeler autre- ment que «coup d’Etat». Le Président a beau ironiser à la manière de De Gaulle, en disant qu’il a passé l’âge d’être un dicta- teur, les faits sont têtus.

Dans ces conditions, le profil bas adopté par le parti Ennahdha, et du Président de l’Assemblée lui-même issu de ses rangs, lequel refuse à engager un bras de fer avec le Président est un signe de plus de sa perte d’influence dans le pays. La situation n’inspire pas l’optimisme et doit, là encore, montrer la pru- dence nécessaire dans l’apprécia- tion des mouvements comme le «Printemps arabe». Sans formation politique solide et implantée, les révoltes ne se transforment pas d’elles-mêmes en révolution pour les peuples. Le peuple tunisien déçu par l’évolution du pays depuis la révolution dite de «Jasmin» en fait l’amère expérience. Dans sa lutte légitime contre le coup d’Etat que nous condamnons, il convient de soutenir le peuple tunisien pour qu’il parvienne à renouer les fils de son émancipation.