La Chine met des gardes fous à «l’opium spirituel» que sont les jeux en ligne
Nous vivons une nouvelle ère fascinante de réformes socia- listes, très ambitieuses et radi- cales, qui ne visent qu’un seul résultat : gagner la bataille tech- nologique contre l’Amérique.
LP ampleur de la révolution sociale de Xi Jinping s’intensifie chaque jour, et rien ne semble à l’abri de sa portée. En plus de la réorganisation spectaculaire des cours particuliers, de la mise à mal des grandes entreprises technologiques et de la campagne contre la culture des stars, l’État chi- nois s’intéresse désormais à ce qu’il perçoit comme l’utilisation excessive des jeux en ligne chez les jeunes. De nouvelles réglementations strictes visent à limiter leurs activités sur les plateformes de jeux en ligne à seule- ment trois heures par semaine, en les décrivant comme un «opium spirituel» et en soulignant qu’elles ont un impact négatif sur la santé mentale des enfants, tout en cherchant à faire en sorte que les enfants se concentrent davantage sur leur éducation.
Il s’agit d’un autre effort pour aligner la société chinoise sur ses priorités natio- nales, et d’une autre indication que les intérêts des « grandes entreprises » ne représentent pas toujours les intérêts de la société dans son ensemble, comme de nombreux pays occiden- taux le supposent.
L’évolution et la croissance des jeux vidéo ont complètement changé nos vies et notre façon de nous divertir.
En l’espace d’une quarantaine d’an- nées, les jeux vidéo et les consoles ont transformé les activités récréatives et les passe-temps de millions de per- sonnes, reléguant les jeux de société familiaux classiques au rang d’antiqui- tés. Tous les enfants des années 1990 ont grandi avec différentes consoles, de la Playstation à la Nintendo, en passant par la XBox et des plate- formes en ligne comme Steam. Outre son impact sur les modes de vie, le jeu moderne a également donné nais- sance à une méga industrie qui se chiffre en centaines de milliards.
La Chine possède une énorme part de ce gâteau. Mais c’est là que réside le problème aux yeux de Xi. L’industrie des jeux vidéo s’efforce de perpétuer ses produits et d’accaparer une part toujours plus grande du temps et des r essources des jeunes, même si cela perturbe leur développement social et éducatif. Si les jeux sont amusants et divertissants, ils ne correspondent pas au monde réel. Les efforts qu’on y consacre n’aboutissent jamais vrai- ment à quelque chose de tangible ou de valable, et c’est pourquoi la Chine s’y oppose fermement, en disant effectivement «ça suffit, les enfants doivent se concentrer sur les vraies priorités de leur vie !». Et la priorité numéro un est l’éducation, pas l’uni- vers fantastique des jeux.
Il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour les plus grands conglomérats de jeux chinois, tels que Tencent, qui ont déjà été frappés par le vaste remaniement de Pékin, mais il y a une sagesse innée dans tout cela, et elle est liée à l’intensi- fication de la lutte technologique de la Chine avec les États-Unis et à sa propre vision du développement.
Cette sagesse est la suivante : La Chine devrait développer de meilleures entreprises de semi-conducteurs, d’in- telligence artificielle et de puces tech- nologiques haut de gamme, et non des entreprises de jeux vidéo de plus en plus grosses. S’il y a un message qui ressort des événements de ces der- niers mois, c’est que la force écono- mique d’un pays ne se définit pas seu- lement par le nombre de «Mark Zuckerberg» qu’il possède.
Xi articule sans relâche une vision directe et claire de l’économie chi- noise et s’appuie sur les principes socialistes pour la défendre. Il a décidé que certaines choses sont plus importantes que d’autres pour l’économie de la Chine et son déve- loppement stratégique.
Il ne s’agit pas simplement de savoir qui a le plus de milliardaires ou les plus grandes entreprises, mais le défi avec les États-Unis signifie qu’il y a des domaines très spécifiques dans lequel le pays doit exceller, et son avenir straté- gique et son succès en dépendent. C’est pourquoi Xi s’est attaqué aux jeunes et aux habitudes de jeu dans le cadre de son approche globale de l’édu- cation, en mettant également fin au soutien scolaire à but lucratif.
Mais comment cette limite de trois heures va-t-elle être appliquée ? Qui dira aux enfants «tu as eu tes trois heures, éteins maintenant !», surtout si les parents ne sont pas coopératifs ? La Chine va sans aucun doute faire peser la c harge réglementaire sur les sociétés de jeux pour qu’elles l’appliquent, et les punira si elles ne le font pas. Compte tenu de la manière dont la Chine moderne gère l’identité et les données, les gens pourraient être obligés de s’inscrire sur des plateformes de jeux pour vérifier leur âge et leurs docu- ments d’identité, qui limiteront ensuite leur temps en conséquence. Il existe sans doute des moyens de contourner ces limites -il suffit de demander aux centaines de millions de Chinois qui uti- lisent des VPN (réseaux privés virtuels qui masquent votre identité réelle ou votre localisation)- et l’efficacité de cette mesure n’est pas évidente, elle dépend en grande partie de la volonté des parents d’être responsables et de discipliner leurs enfants.
En résumé, la Chine dit clairement qu’elle ne veut pas, n’a pas besoin et n’apprécie pas les joueurs. Il s’agit d’un passe-temps qui est fondamentale- ment une distraction, quelque chose qui est acceptable avec modération, mais pas en tant qu’addiction à grande échelle, étant donné qu’il a une faible valeur sociale. En le qualifiant d’«opium spirituel», la Chine évoque métaphori- quement un puissant souvenir histo- rique : elle est enfermée dans une nou- velle «guerre de l’opium» contre l’Occident, avec une série de pays qui veulent imposer leurs préférences idéo- logiques, économiques et stratégiques à la Chine, tout comme les Britanniques ont cherché à le faire au XIX ème siècle avec leurs exportations de drogue depuis le sous-continent indien.
Mais cette fois, Pékin a décidé que ce type d’asservissement ne pourra plus jamais se reproduire. Xi ne veut pas d’une société de joueurs, il veut une société d’ingénieurs, de scientifiques, de médecins et d’innovateurs ; le genre de personnes qui peuvent faire en sorte que Pékin gagne la course technolo- gique et prenne le dessus dans la lutte avec l’Amérique. Ce faisant, il utilise les principes les plus forts du collectivisme contre la nature indivi- dualiste des sociétés occidentales, où les enfants font à peu près ce qu’ils veulent. Il s’agit d’une nouvelle ère de réforme socialiste, très ambitieuse et radicale, sans équivoque. C’est une expérience fascinante. Tom Fowdy