Lékòl péyé an tan lontan Un des aspects de notre patrimoine immatériel

Certaines générations plus ou moins jeunes, mais surtout celles qui sont au moins sexagénaires, l’ont sans doute vécue et peu- vent témoigner que cela a contribué à faire d’eux, ce qu’ils sont aujourd’hui.

En ce temps-là, même si l’école laïque dite «Répu- blicaine, gratuite et obli- gatoire»accueillait, d’abord de 6 à 13 ans, puis de 6 à 14 ans, c’était, en vérité, l’époque aussi du «sauve qui peut». Ce même Etat ne s’embar- rassait nullement avec ceux qui, pour des raisons sociales diverses, ne parvenaient pas à atteindre le niveau requis, surtout dans ces colonies devenues par la suite départements, constitutionnelle- ment parlant.

Les enseignants, et plus particuliè- rement ceux de l’école primaire, étaient soucieux, par vocation, de faire réussir tout le monde, dans des classes de cours préparatoires par- fois de 100 élèves, de cours élémen- taires et cours moyens de 40 à 50 élèves, répartis en deux divisions, de classes de Fins d’études d’une qua- r antaine d’élèves devant subir le Certificat d’études primaires pour, sauf exception, mettre un terme officiellement à leur scolarité. Un Certificat d’études primaires qui p ouvait faire prétendre à être secré- taire de mairie, gardien de la paix municipal, garde champêtre, comp- t able dans une unité sucrière ou permettre de passer différents concours, de La Poste, notamment.

Dans ce contexte post-esclavagiste, les parents, combien soucieux de l’avenir de leurs enfants, craignaient de les voir aller travailler «an kann- la»ou encore «dèyè chèz a mdanm» en tant que «bonnes» ou servantes à tout faire, au sens le plus large du terme, même à subir les appétits sexuels de certains tout-puissants patrons, sans aucune morale.

Quand ils ne leur assénaient pas, par amour, pour leur faire prendre conscience de l’importance de l’école : «si ou pa travay lékòl, sé bèf ou ké ay gadé». Ils se sacri- fiaient alors pour augmenter «la chance» de leur progéniture en leur répétant : «fè mannève pouw tiré pié-aw an vié soulié», se débrouiller pour sortir de la misère, et leur permettre d’avoir un avenir plus honorable.

Parmi les dispositions prises, le«chanjman dè»durant les grandes vacances qui consistait à l’envoyer à la campagne, chez des parents, chez sa marraine ou son parrain pour respirer un air plus pur, était souvent la plus économique. Les familles qui avaient les possibilités partaient même pour quelques jours seulement sur le même terri- toire, dans une maison qui leur était prêtée parfois avec beaucoup de générosité. D’autres qui parve- naient à dégager quelques moyens financiers n’hésitaient ps à envoyer l’enfant dans l’école payée que tenait durant toute l’année, un voi- sin, ou un autre particulier de la commune. Les autres enfants qui ne pouvaient bénéficier ni de l’une, ni de l’autre disposition, se conten- taient, très heureux cependant :

- Pour les garçons, à aider le père dans ses tâches quotidiennes, à courir travers la commune, dans les champs et les savanes, appréciant néanmoins ces jours de liberté pour jouer, s’adonner à la cueillette de fruits, pratiquer la pêche et la chasse avec pour armes, le «jé pòm»ou «banzar»et le «zin»ou hameçon à l’extrémité d’une bonne pelote de fil de «farin fwans», col- lectionnée patiemment chaque fois qu’il y avait un sac de farine de fro- ment à découdre pour faire des v êtements ou des draps de lits.

- Pour les filles, à aider la maman aux travaux ménagers quotidiens et pratiquer différentes activités e nseignées parfois à l’école : cro- cheter, tricoter, coudre, ou jouer à la poupée avec les camarades les p lus proches.LÉKÒL PÉYÉ AN TAN LONTAN :UN PATRIMOINE QU’ON NE PEUT OUBLIER

Vous aurez donc compris que tout cela se passait durant les grandes vacances, du 14 juillet aux premiers jours d’octobre, pour les plus anciennes générations, du 1 er juillet au 31 août pour les plus jeunes, depuis la réforme de la fréquence des vacances scolaires, théorique- ment : deux mois de classe suivis de deux semaines de vacances.

Toujours est-il que, le principe était le même. En septembre ou en août, les enfants inscrits à l’école payée bénéficiaient d’une remise à niveau, de révisions surtout arithmétiques, orthographiques et grammaticales pour affronter les premiers jours de rentrée car, déjà, ils ressentaient les effets de la ceinture sur le dos, ou de la règle sur la main, les punitions par la mise à genoux dans la classe ou derrière le tableau. Les tables de multiplication, l’accord des parti- cipes passés employés avec les auxi- liaires être et avoir, les règles ortho- graphiques, les conjugaisons selon le groupe du verbe étaient incon- tournables, en fonction du niveau.

Ce passage à l’école payée, même s’ils contrariaient certains enfants qui se sentaient privés de quelques jours de liberté, ont eu des effetsfort bénéfiques que certains pren- n ent plaisir à raconter dans diffé- rentes communes de l’archipel. C’est le cas par exemple de :

- Paul à Les Abymes, avec Madame A dalbert, voisine de sa maman

- Roland, Jules, Judes et Robert à S ainte-Marguerite Le Moule, avec madame Elisa Moranval

- Jocelyn à Les Abymes, avec madame Elise Monpierre dite cou- sine Elise

- Francette à Saint-Louis Marie- Galante, avec madame Garnicia Converty

- Julie à Saint-Louis Marie-Galante, avec mademoiselle Angélique Broussillon

- Raymonde, à Saint-Louis Marie- Galante, avec madame Gustarimac.

Dans toutes les communes de l’ar- chipel, à la ville comme à la cam- pagne, ces «maîtresses» possédant le plus souvent le Certificat d’études primaires, rompues à l’éducation des enfants dont elles s’occupaient comme une deuxième maman, fai- saient un travail extraordinaire qui, parfois, permettait à des enfants de «sauter» des niveaux à la rentrée, pour passer directement au niveau supérieur.

Ainsi se développait une camarade- rie, non seulement sur les bancs de l’école laïque, mais aussi sur les chaises de l’école payée. Il n’est pas superflu de souligner que, parfois, une forme d’instruction religieuse par la prière du matin et de fin de journée s’ajoutait à cette éducation, la religion catholique étant prati- quement la seule existant dans la commune. Mais les programmes officiels, matin et après-midi, ainsi que les récréations, étaient obser- vés, sans aucun contrôle pourtant des autorités académiques.

A toutes ces personnes qui ont oeuvré pour sortir la Guadeloupe de l’obscurantisme et de l’analphabé- tisme, il convient de rendre un puis- sant hommage en portant cette information à la connaissance des plus jeunes générations.

La société a évolué depuis plu- sieurs décennies par la réglemen- tation et surtout par les diffé- rentes possibilités et aides offertes aux familles. Allocations, colonies de vacances, voyages à l’extérieur, classes ouvertes, classes appre- nantes, sont de plus en plus déve- loppées et c’est tant mieux.