Ce n’est un secret pour per- sonne, nous sommes en per- manence abreuvés de statis- tiques de toutes sortes qui nous transforment en socio- logues amateurs. Ces chiffres servent souvent d’argument public pour des décisions poli- tiques. Ils sont censés faire taire toute critique. Mais la manière dont ils sont produits est loin d’être innocente, même et surtout lorsqu’ils ne sont pas volontairement biaisés.
STATISTIQUES VRAIES OU FAUSSES ?
On peut en effet se poser la ques- tion de savoir si les chiffres statis- tiques correspondent vraiment à la réalité, car il y a de nombreux exem- ples de véritables triches sur la réa- lité. Un parmi tant d’autres est la comptabilisation des chômeurs qui se fait en radiant ceux qui ne se sont pas présentés dans les temps. On baisse les chiffres du chômage mais il y a bien toujours autant, sinon plus de chômeurs. Cela permet aux poli- tiques de claironner les bienfaits de leurs actions. De ces bidouillages de statistiques nul n’est dupe, dans le peuple, et celui-ci a envers les statis- tiques officielles une méfiance com- préhensible. Mais le vrai problème est ailleurs. Car les statistiques peu- vent à la fois être non trafiquées sur le plan des chiffres, donc sincères et politiquement orientées.QUANTIFIER ET MESURER
Historiquement l’usage de statis- tiques a pris naissance au XIX ème siè- cle et a d’abord été très utile aux mouvements progressistes comme l’Internationale ouvrière pour met- tre en évidence l’exploitation des ouvriers. Cet usage des statistiques est encore largement pratiqué dans la lutte lorsque l’on montre, par exemple, la différence entre le nom- bre d’ouvriers dans la société et le nombre d’enfants d’ouvrier qui accèdent à l’université. Mais au XX ème et XX Ième siècle l’usage des sta- tistiques publiques a été largement utilisé par le pouvoir politique, et le capitalisme libéral en particulier, pour instiller une certaine vision de la société. Le calcul de la per- formance, des individus, des entreprises, voire des pays, a ainsi été mis en chiffres, mesuré, com- paré sans que l’on questionne la manière de produire ces chiffres. On a ainsi obtenu des statistiques parfaitement honnêtes et vérifia- bles sur des points de départ tota- lement contestables. Le choix de ce que l’on mesure, ici, est un choix politique souvent fait dis- crètement sans aucune transpa- rence démocratique. QUELQUES EXEMPLES
A quoi sert, en effet, de mesurer la performance d’une entreprise à tra- vers sa production si l’on s’arrête sur le court terme. Aux Antilles, par exemple, à la fin des années 1980, la production de bananes a été main- tenue, voire augmentée mais on n’a pas pris en compte la pollution des sols et l’empoisonnement de la population au chlordécone. Où est le profit ? On a dissocié par les chif- fres le profit privé de l’entreprise des dégâts à l’ensemble de la société. Le choix de la mesure de performance, ici, est clairement idéologique et renvoie à la propriété privée, base du capitalisme. Un autre exemple très clair est celui de la mesure des inégalités qui s’envolent dans le monde capitaliste depuis des décennies. Choisir de comparer les revenus des 10% les plus riches à ceux des 10% les moins riches, don- nent des chiffres justes et incontes- tables mais qui masquent (volon- tairement ?) la réalité. En fait il est beaucoup plus parlant de comparer les revenus des 1% les plus riches, voire même des 0,1% les plus riches aux 99%, ou aux 99,9 restant pour faire apparaître la richesse farami- neuse accumulée par les très très riches. Il y a de très nombreux autres exemples de cette manière de nous faire avaler une certaine vision du monde, d’autant plus dif- ficile à contredire que les statis- tiques produites sont correctes.UNE LEÇON POUR AUJOURD’HUI ?
Dans la période très difficile que vit le monde entier aux prises avec une pandémie violente, il y a un peu par- tout des réticents et des résistants qui contestent les statistiques. Les électeurs de Trump pour des rai- sons idéologiques, une partie de la population européenne pour des raisons variables selon les pays, une partie de Antilles françaises pour des raisons liées à l’histoire de la colonisation, les explications ne manqueront pas pour expliquer les résistances et la méfiance devant les statistiques officielles, celles de l’OMS par exemple. Il n’en reste pas moins que ces résistances ont un contenu politique et doivent être analysées comme telles par les mouvements progressistes. De cette analyse dépend en partie l’avenir de ces mouvements.