Au moment où nous écrivons cet article, ce sont près de 2200 morts et un nombre incalculable de blessés qui ont été recensés après le terrible tremblement de terre de 7,2 sur l’échelle de Richter frappant de nouveau 11 ans plus tard Haïti. Cette fois-ci, c’est en très grande partie le sud-est du pays qui a été tou- ché. Comme en 2010, c’est de la tristesse et de la désolation qui envahit toute la communauté internationale.
T out comme en 2010, la soli- darité internationale et notamment celle de notre pays s’est mise immédiatement en route. Bien entendu, la nécessaire évaluation des besoins immédiats et urgents s’est faite assez rapide- ment car l’expérience de la tragédiede 2010 est encore bien vivante. En effet, la solidarité d’urgence s’effec- tue grâce aux organisations non gouvernementales, aux collectifs citoyens, aux associations qui agis- sent pour la solidarité entre les peu- ples de manière non concertée majoritairement avec le pouvoir en place. Quant à l’action d’urgence coordonnée mais non maitrisée par le gouvernement haïtien, elle s’ef- fectue essentiellement avec les aides internationales provenant des pays de la Caraïbe, d’Amérique latine, des Etats-Unis, du Canada et des pays européens comme la France, la Belgique.
Et c’est justement sur les résultats de la solidarité effectuée en 2010 que des interrogations se posent. Pourquoi cette solidarité envers Haïti ne débouche pas sur des résul- tats tangibles sur le moyen et long terme ? Toutefois, il est fort proba- ble que, les mêmes causes produi- sant les mêmes effets, l’élan de soli- darité internationale.
Alors, c’est la question «Doit-on s’at- tendre aux mêmes effets après les opérations d’urgence ?»qui doit aujourd’hui plus que jamais interpel- ler tout un chacun et plus particuliè- rement les Haïtiens eux-mêmes.
Dans cet article, nous invitons nos lecteurs à la réflexion sur les ques- tions suivantes :
- Quelles sont les leçons tirées du séisme de 2010 pour éviter de telles drames humains ?
- Quels sont les véritables enjeux pour la communauté internationale concernant Haïti ?
- Qui organise et qui contrôle l’ac- tion humanitaire et locale dans le pays lors des tragédies naturelles comme celle-ci ?
La leçon et la plus importante concerne à notre avis l’absence de l’Etat. La crise politique qui traverse H aïti depuis plusieurs années a des conséquences très graves dans toutes les sphères de la vie du pays. : é conomie, santé, finances, politique publique, etc… Dépourvu de res- sources autonomes et de capacités p ropres, l’État haïtien est incapable d’impulser ou d’intervenir aucune politique de développement.
Et comme par malchance pour Haïti, des évènements cruciaux dans la vie politique croisent ou interviennent juste avant des phé- nomènes naturels désastreux. Trois exemples :
En janvier 2010 : après plusieurs reports, le séisme survient en pleine période électorale, à un moment de grande inquiétude politique.
En octobre 2016 : quelques semaines avant les élections du 20 novembre, le sud du pays a été dévasté par l’ouragan Matthew.
En août 2021 : l’assassinat duPrésident Jovenel Moïse plus d’un mois avant le tremblement de terre.
F ace à ce vide laissé par l’Etat haï- tien, les organisations internatio- nales et les organisations non g ouvernementales ont occupé une place très importante dans l’action humanitaire mais de m anière non concertée. Cette situation a conduit inévitable- ment à de nombreuses dérives de toutes sortes notamment en matière de corruption. En effet, il a été constaté l’explosion du nombre d’organisations venues «sauver le peuple haïtien» ce qui fait que Haïti est devenu le grand bazar à ciel ouvert de l’humani- taire. Est-ce l’appât du gain pour certaines de ces organisations ?
Ce manque de coordination des organisations s’explique-t ’elle éga- lement par le fait d’une compétition sans vergogne de la politique inter- nationale des Etats et par le fait des rivalités entre les acteurs de la soli- darité humanitaire pour l’atteinte d’objectifs géostratégiques ? Ainsi, on comprend mieux pour quelle rai- son la réponse humanitaire sur le moyen et long terme n’atteint pas les objectifs du pays et donc des p opulations en souffrance.
Dans cette situation de désorgani- s ation, la solidarité locale subit l’ab- sence de coordination pour avoir vraiment de l’impact sur la situation g lobale des haïtiens.
Si le défi de la reconstruction après le séisme de 2010 connait un échec cuisant 11 ans après, que sont alors devenus les 13 mil- lions de dollars canadiens promis par le FMI, les agences de l’ONU, la banque mondiale ? Que sont devenus les milliards collectés auprès des citoyens du monde, entreprises et grands groupes pri- vés, les Etats, les ONG, etc. ?
Aujourd’hui, devant la faiblesse de l’Etat haïtien, devant l’incertitude politique, face au manque de coor- dination des organisations humani- taires et locales il faudrait éviter à tout prix que l’élan de solidarité, plus que nécessaire, ne se convertisse en un nouveau désenchantement.