L"ordonnance scélérate du 15 octobre 1960

Il y a 61 ans, le pouvoir politique français déclarait la guerre dans les colonies de Guadeloupe, de Martinique, de La Réunion, de Guyane devenues depuis la loi du 19 mars 1946, des départements français.

L"ORDONNANCEDU 15 OCTOBRE 1960

Car, comment qualifier autrement cette ordonnance signée par le Président de la République Charles De Gaulle, le Premier ministre Michel Debré et trois autres minis- tres, le 15 octobre 1960 et publiée au journal officiel de la République du 18 octobre 1960, qui prend appui directement sur la loi N° 60- 1101 du 4 février 1960 relative à la guerre d"Algérie et sur l"article 38 de la Constitution qui autorise le gou- vernement à prendre dans cette situation des mesures d"exception.

Quelle est la similitude de situation qui pouvait conduire le gouverne- ment français à transposer cette loi dans les départements-colonies des Antilles et de l"Océan indien par une ordonnance donnant le plein pouvoir aux préfets pour expulser en France sans aucune formalité,«des fonctionnaires dont le compor- tement (?) est de nature à troubler l"ordre public…».

Pour répondre à cette question et comprendre ce qui a pu pous- ser le pouvoir d"Etat français à recourir à un tel arbitraire, il faut se placer dans le contexte de l"époque.

LA FRANCE VEUT CONSERVERSON RESTE D"EMPIRE

Nous sommes en 1960 en pleine guerre d"Algérie, le Général De Gaulle a acquis la conviction, après sa tournée algérienne, que la France, mal- gré les énormes moyens déployés ne pourra pas garder l"Algérie. Après l"indépendance de l"Indochine arrachée à Dien Bien Phu en 1954, puis celle de Tunisie et du Maroc en 1956 et celle inéluctable de l"Algérie (l"Accord d"Evian signée le 18 mars 1962 scellera l"indépen- dance de l"Algérie), la France veut conserver ce qui lui reste de l"empire en mettant en place une politique répressive dans les «départements Outre-mer».

L"ordonnance du 15 octobre est un des moyens mis en oeuvre par la France qui pense, en sup- primant les «têtes pensantes» tarir la source de la revendica- tion autonomiste qui s"exprime dans ces colonies.

Mais aussi, tenant son poste dans la confrontation qui se déroule à l"échelle internatio- nale entre l"impérialisme et les forces du socialisme et du mou- vement de libération nationale en faveur de ces dernières, notamment dans la région Caraïbe, elle prend des mesures coercitives pour limiter la conta- gion : Saisie de la presse commu- niste, poursuites contre les diri- geants politiques et syndicalistes communistes et autonomistes en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à La Réunion.UNE DECISION POLITIQUE SCELERATE INNACEPTABLE

Analysée sous cet angle, l"or- donnance du 15 octobre 1960 appliquée en violation du statut des fonctionnaires, apparaît comme une décision politique scélérate, inacceptable dans le fond et dans la forme.

L"article signé par Maître Labadie dans le n°2 de la revue de Droit Contemporain de 1964 est une des analyse la plus perti- nente de cette ordonnance prise pour légaliser une guerre poli- tique menée par l"Etat français dans ses colonies. Extraits :«Contrairement au principe de l"égalité de tous les citoyens devant la loi, un texte réserve un sort particulier aux fonction- naires des Dom et revêt de ce chef, un caractère discrimina- toire. Il est, d"autre part, arbi- traire de part l"objet de son éco- nomie, la production d"un ordre public mal défini, dont le contenu est imprécis et fait revivre la n otion périmée de raison d"Etat».

En sanctionnant non pas le trou- b le, mais le comportement de nature à troubler l"ordre public, la disposition législative recrée un véritable délit d"intention et constitue une violation certaine d u droit public français assurant aux fonctionnaires le plein exer- cice de la liberté de pensée.

La mutation d"office d"un fonc- tionnaire en exercice est, en e ffet, une peine de discipline qui, aux termes de l"art.30 du statut, ne peut être prononcée q u"après l"avis du conseil de dis- cipline. A cette occasion d"ail- leurs, la forme prévue assure au fonctionnaire, qui en est menacé, les plus élémentaires g arantis du droit pénal français ; il a libre accès à son dossier, il est entendu en ses explications et peut se faire assister, lors de sa comparution, par le conseil de son choix. Aux termes de l"or- d onnance du 15 octobre cette garantie disparaît. Le fonction- naire visé est livré à l"arbitraire d u préfet.

C"est cette ordonnance inique qui a frappé en août 1961 une ving- taine de fonctionnaires en Guade- l oupe, en Martinique et en Réu- nion. Tous connus pour leur enga- gement dans la lutte pour l"Auto- nomie politique de leur pays.Paru dans le n° 440 du 13 octobre 2011