Ethiopie : au bord de l’explosion, quelle solution ?

Située au coeur de la corne de l"Afrique de l"Est, l"Éthiopie possède la dixième plus grande superficie de l"Afrique avec un territoire de 1 127 127 km 2 . L"Éthiopie est encadrée au nord par l"Érythrée et le Soudan, à l"ouest par le Soudan du Sud, à l"Est par Djibouti et la Somalie, et au Sud par la Somalie et le Kenya.

A vec ses 120 millions d’habi- tants, l’Éthiopie qui n"a jamais connu la colonisation contrairement aux autres pays du continent, est constituée de 80 peuples. Citons pour les plus impor- tants : 2/3 de la population est composée des Amharas et des Oromos et les Tigréens sont esti- més à environ 6% de la population. Depuis l"entrée en vigueur de la Constitution de 1994, l’Éthiopie est un État fédéral divisé en régions - parfois appelées États- établies sur des bases ethniques. De plus, chaque région a sa propre langue.

L’organisation de cet État fédéral s’est traduite physiquement par la mise en place de frontières pour abriter chaque peuple. Si ce fédéra- lisme ethnique est la principale cause des maux du pays mais n’est pas la seule raison ; la propriété de la terre en est une aussi. L’aspect eth- nique est devenu un moyen pour mobiliser la population.

L"Éthiopie possède une économie essentiellement agricole, fragili- sée par des sécheresses, des pénuries alimentaires et desconflits politiques. Cependant, elle a transité vers une économie industrielle et exportatrice. De- puis les années 2000, la croissance de son PIB est l"une des plus importantes au monde aux alen- tours des 10% par an (10,9% en 2017). Cela a permis une sortie de l’extrême pauvreté pour une bonne partie de la population.SITUATION POLITIQUE

1991 :renversement du gouverne- ment militaire par une coalition, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF). Dans cette coalition, le parti qui s’impose est le TPLF (Front de libération du peuple de Tigré) qui est issu de la minorité tigréenne (soit 6% de la population). Cette hégémonie a été notamment très marquée à travers u n homme, Méles Zenawi. Ancien membre de la guérilla tigréenne, il va diriger le pays de 1995 jusqu’à sa m ort en 2012.

La guerre entre l’Éthiopie et l ’Érythrée : l’Érythrée qui est un pays également de la corne de l’Afrique a été annexé par l’Éthiopie en 1962. Le combat engagé par le FPLE (Front populaire de libération de l’Érythrée) a permis en 1993 à l’Érythrée d’accéder à son indépen- dance en infligeant une défaite au gouvernement éthiopien. Mais la guerre n’a réellement jamais cessé entre ces deux pays pour des ques- tions territoriales faisant des dizaines de milliers de morts.

2018, tournant majeur et déclen- cheur des tensions :face à d’impor- tantes contestation sociales, le suc- cesseur de Méles Zenawi, Haile Mariam Desalegn, démissionne à la surprise générale. Son remplace- ment par Abiy Ahmed est une pre- mière dans l’histoire du pays car il est issu de l’ethnie majoritaire Oromo (et non plus du TPLF).

Une série de décisions marquent la rupture avec ses précédents du TPLF : libéralisation de l’économie, parité dans la nouvelle équipe diri- geante, libération de prisonniers politiques, nomination d’un diri- geant de l’opposition à la commis- sion électorale, fin de la guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée, et sur- tout la transformation de la coali- tion gouvernementale en un parti : le «Parti de la prospérité». Cette stratégie oblige le TPLF à quitter la coalition car il n’a plus la mainmise sur le pouvoir.

Et depuis, l’Éthiopie a retrouvé le chemin de la guerre civile car le TPLF ne reconnaît plus le pou- voir central. Les fonds publics destinés à la région du Tigré ont même été gelés !

A commencé alors une guerre de communication entre les deux pro- tagonistes : l’un et l’autre déclarant avoir gagné le terrain de la lutte armée. L’armée fédérale, ses milices amharas et les forces érythréennes encore présentes dans la région, d’un côté, et les forces tigréennes de l’autre, s’affrontent sans merci, empêchant de surcroît l’aide huma- nitaire de circuler librement dans une zone de conflit échappant à tout contrôle.LA POPULATION QUI TRINQUE

D’après un rapport d’Amnesty International, depuis novembre dernier, la guerre a fait des milliers de morts et des dizaines de milliers de déplacés -plus de 60 000 ont fui au Soudan. Une douzaine d’huma- nitaires ont été tués depuis le début du conflit. 23 000 réfugiés éry- thréens sont regroupés dans des camps au Tigré.

Le drame c’est que des dizaines de milliers d’enfants risquent de mou- rir de faim

Selon l’ONU, au moins 5,2 mil- lions de personnes, soit 91% de la population du Tigré, ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence. 400 000 personnes vivent dans des conditions de famine dans la région et plus de 1,8 million de personnes supplé- mentaires risquent de subir le même sort. Le conflit s’étant étendu dans les régions voisines, la question de l’urgence alimen- taire se pose également.

Amnesty International dénonce également le recours massif aux viols, mutilations, esclavage sexuel comme armes de guerre, aussi bien par les miliciens amha- ras de la région voisine que par les troupes érythréennes qui partici- pent au conflit. Il a même été éta- bli qu’une campagne de net- toyage ethnique au Tigré avait été menée par des responsables éthiopiens et des miliciens.

DES RÉACTIONS INTERNATIO- NALES UN PEU TARDIVES

Devant l’escalade tragique de la situation, l’état d’urgence a été décrété par le gouvernement et approuvé par le Parlement éthiopien. Les réactions interna- tionales s’amplifient devant ce drame humanitaire et l’escalade de la violence :

• Les ambassades américaine et britannique ont demandé à leurs ressortissants d’envisager de quit- ter le pays et à leurs voyageurs de ne pas s’y rendre.

• Le Président américain Joe Biden menace de priver l’Éthiopie d"un accord commercial vital avec les États-Unis.

• L’Union africaine (UA) par son président de la commission, Moussa Faki Mahamat, exhorte les partisans des deux camps à ne pas commettre d’actes de représailles contre quelque communauté que ce soit et réitère l’engagement de l’UA à travailler avec les parties pour soutenir un processus politique consensuel.TOUTEFOIS, UN ESPOIR EMBLE POSSIBLE

Après la visite des envoyés de l’Union africaine et de l’ONU au Tigré, un canal de discussion sem- ble être ouvert entre le gouverne- ment éthiopien et le TPLF. En cou- lisses, les réunions s’enchaînent.

Des voix citoyennes commen- cent à s’élever comme celle du célèbre chanteur Tariku Gankisi qui a demandé aux Éthiopiens d’arrêter le conflit fratricide et de se retrouver autour de la table pour «négocier».

Si on peut espérer un cessez-le-feu après tous ces efforts diploma- tiques, seule une vraie solution poli- tique pourrait permettre à l’Éthio- pie de sortir de cette guerre eth- nique qui dure depuis trop long- temps et qu’elle reprenne le chemin du développement pour toutes les communautés éthiopiennes.

La culture politique éthiopienne rejetant toute forme d’ingérence extérieure, l’issue de cette crise passe avant tout par un mécanisme interne comme par exemple la mise en place d’une commission de réconciliation nationale laquelle avait été d’ailleurs adoptée par le Parlement en 2019. L’objectif est bien aujourd’hui de mettre à plat les griefs entre les groupes ethniques et de trouver des solutions durables et satisfaisantes pour tous. Et non de se résoudre à la solution améri- caine consistant à sanctionner car c’est toujours la population la plus fragile qui en souffrira !