Le morne que nous gravissons

Si nous prenons le temps de relire le très beau poème d’Amanda Gorman : La col- line que nous gravissons, nous y trouverons des mots d’une pro- fonde justesse qui font écho à notre recherche de meilleur vivre ensem- ble : «Ainsi levons nos yeux non pas vers ce qui se dresse entre nous mais vers ce qui se dresse devant nous». C’est là un appel vibrant à l’unité pour ensemencer, défricher ensem- ble des terres nouvelles. Nous aussi, ici en Guadeloupe, avons notre morne à gravir…

Il y a longtemps que toute rationa- lité a déserté la place publique. L"hystérie et l"outrance ont pris sa place. Et partout... Les temps som- bres actuels sont en réalité le résul- tat des facilités et des pulsions que nous avons fini par laisser nous dominer. L"hégémonie des réseaux sociaux dans nos vies a fortement alimenté ce feu dévorant. Du Président de la République à des militants syndicaux, en passant par certains élus, la violence et l"insanité des mots ou des actes s"installent en Jézabel du siècle qui commence.

Nous pleurons devant le «macou- tisme» rampant et les «bad buzz» mais que faisons nous face à ce déferlement d"impudicité, d"exhibi- tionnisme, de violence gratuite, de propos vulgaires, de médiocrités visuelles et sonores déversés sur le métavers : Instagram ou Whatsapp etc… Que faisons nous de nos valeurs humaines, de notre dignité, de notre solidarité ?

Nous les laissons brûler sur l"autel de l"égocentrisme, du narcissisme, du mépris de l"autre, et de la satisfaction de nos petits plaisirs personnels et immédiats. Ce qu"a subi le directeur du CHU n"est hélas que le retour de boome- rang de la violence que nous avons tous laisser s"installer en nous, chez nous, et jusqu"au plus haut sommet de l"État et des politiques publiques.

Osons le dire : oui, il y a aussi une violence qui émane de l’acte d’ex- clure froidement et légalement des citoyens de leurs moyens de subsistance. Il y a aussi une vio- lence qui émane du refus de lais- ser tomber des préalables rédhibi- toires avant d’accepter de négo- cier. Il y a aussi une violence insup- portable à voir la pauvreté, la pré- carité et l’indigence se développer sans que de vraies moyens et de vraies solutions ne soient ne serait-ce qu’envisagés par nos res- ponsables locaux et nationaux. Et que dire du mépris et des blo- cages institutionnels ?

Ces actes violents inexcusables et inadmissibles qui se sont répétés au CHU à l’encontre de son per- sonnel de direction, comme les autres formes de violence de notre société ne pourront en réalité ces- ser à l"avenir que si nous compre- nons que ce n"est pas qu"une petite partie de la population qui s"y adonne mais nous tous qui lais- sons le pire et le moins bon s"enra- ciner dans nos vies, nos quoti- diens, et l"éducation même de nos enfants jours après jours, clicks après clicks, post après post. Ce ne sont ni les lois, ni les dis- cours, ni les manifestations ou communiqués qui nous feront sortir de ce bourbier. Pas plus un homme ou une femme provi- dentiel ou un remède miracle issu d"un énième «bik a pawòl». Pour sortir de cette horrible fête du veau d"or dans laquelle nous nous complaisons hypocrite- ment, et mériter une quel- conque absolution salutaire.

Il nous faut arrêter de nous dres- ser les uns contre les autres aveu- glément, de nous infliger à nous- mêmes des souffrances inutiles. Il nous faut également remettre l"Amour et le respect absolu de l"autre au coeur de nos existences. Il n"y a pas d"autres voies… Avec le Covid et le cynisme politique qu’il a favorisé sur le mode «diviser pour régner», nous revivons (sur la for-me) une pitoyable affaire Dreyfus sans gloire ni panache où les familles sont divisées, le tissu social déchiré, les consciences survoltées. Trop peu d’entre nous cherchons en vain l’apaisement, le retour de la raison dans le débat public ou privé.

La fin du poème de Gorman parle d’un peuple qui arrive de tous les horizons pour réparer, recons- truire, remettre à flots le pays. Nous formons le voeu ardent que le peuple guadeloupéen se ras- semble enfin dans la concorde retrouvée, s’attelle à trouver des solutions qui nous conviendront; et cesse enfin de faire le jeu de la désunion volontaire comme poli- tique du pire.