Hommage à Auguste Sainte-Luce :Une grande figure du mouvement syndical guadeloupéen

Le puissant mouvement social qui mobilise depuis maintenant six mois toutes les catégories sociales en Guadeloupe nous renvoie à la grève historique des ouvriers industriels et agricoles des sucreries colo- niales à «Capesterre de Guadeloupe» devenue «Capesterre Belle-Eau», en jan- vier 1945, et rappelle à notre mémoire la figure légendaire du grand syndicaliste guade- loupéen : Auguste Sainte-Luce.

C ette grande figure guade- loupéenne prit naissance sur l’habitation Scapamont dans la section de Cambrefort à Capesterre Belle-Eau, le 24 mai 1897. Issue d’une famille paysanne pauvre, il commença à travailler très jeune dans les champs de cannes de l’usine Marquisat.

Il s’intéressa au sort des ouvriers qui travaillaient à ses côtés. Il prit alors conscience très tôt de la situation de misère de cette masse laborieuse et, surtout, de la néces- sité de l’organiser pour défendre ses droits. Il crée, en 1937, avec un de ses compagnons, le sieur Mou- tou, le premier syndicat agricole à Capesterre, qui fut nommé, «Les artisans de la fortune».

A la tête de ce syndicat, il partit en bataille, parcourut les campagnes, instruisit les ouvriers, leur communi- qua sa flamme de les voir, un jour, traiter comme des humains et mieux rémunérés.

Comme cela se produit à chaque fois qu’un leader ouvrier lève la tête, s e dresse devant le patrona et orga- nise la défense des exploités, il a été frappé par la plus grande des répressions sociales. Il fut en effet licencié par les sucreries coloniales e t interdit dans les plantations.

Mais, comme c’est souvent le cas a ussi, en leader syndical convaincu, aguerri, il ne se rendit pas à l’ennemi de classe. Sa réponse fut d’élever l’organisation des travailleurs et d’in- tensifier la lutte. Il se jeta à corps perdu dans les batailles de la classe ouvrière. Son action déborda Ca- pesterre puisqu’il est réclamé par- tout. Et partout, il parle au nom des ouvriers de la canne et de la banane.

Se joignant à Amédée Fengarol, Sabin Ducadosse, Félix Edinval, ils fondèrent le Bureau de l’Union départementale des syndicats. Au- guste Sainte-Luce est, à ce stade de sa vie, un leader incontesté du mou- vement ouvrier, reconnu, respecté par tous les travailleurs, sur tout le territoire guadeloupéen. C’est celui qui fait trembler les économes, les géreurs et les directeurs, sur toutes les plantations de cannes et de bananes, contraints de reculer à chacun des assauts du syndicat «les artisans de la fortune» contre les citadelles patronales.

Le plus grand fait d’armes d’Au- guste Sainte-Luce et qui est rentré dans les annales des luttes sociales en Guadeloupe, c’est la grève de janvier 1945, à Capesterre.

A la sortie de la seconde guerre mondiale, la situation était difficile dans cette commune, les travail- leurs avaient beaucoup souffert dans cette période. Le patronat ne voulait faire aucune avancée pour une revalorisation des salaires des ouvriers industriels et agricoles, et du prix de la tonne de canne au bénéfice des planteurs.

Face à la férocité et à l’arrogance des dirigeants de l’usine, le syndicat, sous la direction de son Secrétaire général Auguste Sainte-Luce, épau- lé par ses compagnons de lutte, Georges Anaïs, Murat Andy, lança un mot d’ordre de grève générale. Les ouvriers ont répondu massive- ment. Tout a été arrêté et la pres- sion monta.

Pour sortir du piège qu’il vit se fer- mer sur lui, le directeur de l’usine appela le Secrétaire général du syn- dicat des fabricants de sucre, un certain Monsieur Descamps, à venir négocier à l’usine Marquisat avec le syndicat «les artisans de la fortune». Monsieur Descamps, du haut de sa « puissance», refusa sans ménage- ment toutes les revendications des grévistes. Les dirigeants du s yndicat des travailleurs donnè- rent l’ordre de le séquestrer, puis de l’emmener dans un champ de cannes où il fut attaché à un poteau, au soleil, toute la journée.

L’histoire raconte que les travailleurs révoltés par le comportement du sieur Descamps, lui aurait offert à déjeuner un pòyògrillé accompa- gné d’une eau plus ou moins glauque comme boisson. La situa- tion devenant, au fil des heures, de plus en plus explosive, Auguste Sainte-Luce fit appel au commu- niste Paul Lacavé, pas encore maire, comme médiateur.

Entre-temps, le gouverneur de la Guadeloupe, monsieur Pierre, infor- mé de la séquestration de monsieur Descamps, se rendit à Capesterre pour tenter de sortir le séquestré du guêpier. Mal lui en prit. Il fut à son tour stoppé par les grévistes, conduit en mairie, séquestré à son tour, isolé de la protection des forces de police.

Prenant l’ampleur de la situation qui pouvait dégénérer à n’importe quel moment, Paul Lacavé informa le leader de la Fédération du Parti Communiste Guadeloupéen à l’époque, Rosan Girard, qui se rendit sans tarder à Capesterre pour pren- dre la direction des négociations.

Rosan Girard et Paul Lacavé, sont arrivés à faire comprendre au gou- verneur que sa libération et celle de monsieur Descamps n’étaient possibles qu’à la seule condition, q ue les sucreries coloniales accep- tent les légitimes revendications des ouvriers.

Le dos au mur, sentant l’étau se res- serrer et entendant les clameurs d es manifestants, le gouverneur a vite compris qu’il n’avait pas d’autre choix pour sortir indemne de cette confrontation que de co-signer avec, le chef du syndicat des fabri- cants de sucre, le protocole qui accordait aux grévistes toutes leurs revendications.

Les salaires furent augmentés de 3,5% et 3,75%. Cet accord officia- lisé, cette augmentation des salaires fut étendue à toute la Guadeloupe et à la Martinique. C’est l’une des plus grandes vic- toires remportées par le syndica- liste Auguste Sainte Luce et c’est une très grande leçon dans la conduite des luttes sociales.

Cet engagement sur le front social fut prolongé sur le plan politique. Paul Lacavé fut élu maire de Capesterre le 3 juin 1945 et Auguste Sainte-Luce devint son premier adjoint.

Epuisé par les luttes et les maladies, Auguste Sainte-Luce mourut jeune, à 57 ans, le 2 février 1954, neuf ans après avoir mis à genoux les patrons du sucre et l’Etat français, en pro- nonçant dans son dernier souffle :«Syndicat ! Syndicat ! Syndicat !».