14 février 1952 à Le Moulel’un des crimes du colonialisme français

Sur le Boulevard Rougé à Le Moule en Guadeloupe, le 14 février 1952, quatre ouvriers sont morts, fauchés par les balles des fusils de guerre des CRS (compagnie républicaine de sécurité) : Constance Dulac, Justinien Capitolin, Edouard Dernon et Françoise Dernon.

Ils étaient en grève à l’usine Gardel de Le Moule avec tous leurs frères et soeurs dans les usines à sucre de Guadeloupe : Blanchet à Morne-à- l’eau, Darboussier à Pointe-à-Pitre, Bonne-mère à Sainte-Rose, Marqui- sat à Capesterre.

Ils ont été assassinés par les mili- taires français parce qu’ils luttaient pour obtenir de l’usine, un salaire horaire de 91 francs à l’époque. Leurs frères dans la chaine d’exploi- tation ont obtenu 88 francs à la fin de la grève.

L’analyse de toutes les pièces consultables de ce dossier, conclu à une véritable tuerie préméditée et organisée par les autorités de l’Etat français au service des capitalistes- usiniers, et connue comme le «Massacre de la Saint-Valentin». POURQUOI CE MASSACRE ?

Il ne s’agit pas seulement de la simple volonté de revanche des CRS parce qu’ils auraient été humiliés dans les rues de Morne- à-l’Eau quelques jours aupara- vant. Il faut rappeler ici pour la mémoire historique, qu’ils avaient été déjà «rossés» dans les rues de Capesterre Belle-Eau en mai 1950, et mis en déroute par les «brigades rouges» du syndicat «les artisans de la Fortune» dirigé par Auguste Sainte-Luce.

Le drame qui s’est déroulé à Le Moule doit être replacé dans le contexte politique de la guerre froide qui est l’expression d’une lutte de classe farouche qui se déroule sur le plan international et de la straté- gie coloniale de la France. Dans la période de l’après deuxième guerre mondiale, l’objectif des puis- sances capitalistes est d’endiguer l’expansion du communisme et du mouvement de libération des peu- ples portés par l’URSS, qui aux yeux du monde est le grand vainqueur du fascisme hitlérien.

Avec le plan Marshal lancé pour la «reconstruction de l’Europe» par les USA en avril 1948, le coup d’envoi de la chasse aux communistes et aux mouvements de libération nationale est lancé par les forces capitalistes.

En France, les socialistes SFIO, les démocrates chrétiens (MRP) et radicaux font cause commune, leur ciment c’est l’anticommunisme. Leur objectif c’est de réduire l’in- fluence communiste. En 1951, à la faveur d’une loi électorale inique et divers coups tordus, ils arrivent à faire passer le PCF, qui est le premier parti politique de France avec 27% de voix à 16% de députés seule- ment (103 sur 625).

En Guadeloupe où le colonialisme et le racisme déterminent en grande partie le fonctionnement de la société, la lutte des classes avec l’émergence de l’organisation com- muniste et son expansion rapide devient vite l’élément moteur des luttes sociales et politiques.

L’organisation communiste repré- sente «Le danger», aux yeux de l’administration et les capitalistes tropicalisés. Désormais, les pré- fets et les usiniers n’ont plus les mains libres pour exploiter et opprimer à loisir.

Dès lors, l’organisation commu- niste devient la bête noire des suceurs de sang des travailleurs qu’il faut nécessairement abattre avec la complicité des autres forces politiques inféodées au sys- tème et «nourries» par les capita- listes usiniers.

Tous les préfets qui sont envoyés à la Guadeloupe à partit de 1945, sont des préfets de choc avec une mission prioritaire : combattre et réduire l’influence des commu- nistes.

Considérant que Le Moule sous la direction du leader communiste charismatique Rosan Girard est le bastion, le vaisseau amiral, ils ont décidé de frapper là, pour anéantir le mouvement de résistance et d’émancipation des travailleurs guadeloupéens.

LA RÉPRESSION EST CONSTITUTIVE DU COLONIA- LISME ET DU CAPITALISME

Un retour historique sur la société, nous montre que depuis les années 1900, avec la création des premiers syndicats ouvriers, les grèves sont légion en Guadeloupe et éclatent à l’ouverture de chaque campagne sucrière. Elles se terminent tou- j ours par la violence armée et la mort des ouvriers.

L a mémoire collective se rappelle la grande grève des ouvriers agricoles de février 1910, débutée à Sainte- Marthe de Saint-François (3 morts) qui s’est poursuivi à Capesterre où e lle se termina dans un bain de sang et fit plusieurs morts et des dizaines de blessés. Elle fut suivie de la grève sur l’habitation Duval en 1925 qui se solda par cinq morts. La liste est longue de ces actes de répressions du mouvement social : Bonne-Mère (2 morts) et Abymes (3 morts) en 1930 ; Saint-Louis de Marie- Galante en 1936 (2 morts) ; Basse- Terre (1 mort) ; Port-Louis (1 mort) en 1943 Pointe-à-Pitre en 1967 (8 ou 80 morts ?).

La répétition de ces répressions dans les autres pays dit «d’Outre- mer» : le 14 février 1974, les gen- darmes tirent sur les ouvriers gré- vistes à Basse-Ponte (2 morts une dizaine de blessés) ; le 24 mars 1961 au Lamentin à la Martinique, les gendarmes mobiles mitraillent la foule et tuent 2 ouvriers agricoles et une couturière.IL N’Y A PAS QUE LES GRÈVES QUI SONT RÉPRIMÉS

La grève est une manifestation de la lutte des classes dans la société capitaliste qui met en oeuvre des rapports de domination coloniale ce qui appelle à des réponses poli- tiques pour résoudre la question de l’exploitation.

Naturellement, les pouvoirs en situation de domination mettent en oeuvre des mesures de répres- sion pour préserver leurs pouvoirs. Ils utilisent les mêmes moyens de violence et de mort pour briser toutes tentatives de changer les rapports de domination.

L’histoire de la France coloniale est parsemée de ces interventions mili- taires contre les droits des peuples : en mai 1945, c’est le gouverne- ment dirigé par le Général de Gaulle qui va exercer une répression sau- vage en Algérie, précisément à Sétif et Guelma en Algérie contre les militants nationalistes. On dénom- bre 40 000 victimes. Une insurrec- tion pour l’indépendance déclen- chée à Madagascar est sauvage- ment réprimée à Moromanga le 30 mars 1947 et fit 2000 morts. Le 17 janvier 1961, le Premier ministre du Congo, Patrice Lumumba est assas- siné à Elisabethville avec la compli- cité de la France. Le 17 octobre 1961, la police parisienne attaque une manifestation du FLN algé- rien organisée à Paris et fait 200 à 300 morts.

Le vendredi 29 octobre 1965, M edhi Ben Barka, militant nationa- liste marocain, coordonnateur de la conférence tricontinentale qui devait se tenir à Cuba, est enlevé en plein Paris. On ne le reverra plus. S on corps ne sera jamais retrouvé.

L’épisode de l’attaque par les forces armées françaises, de la grotte de Ouvéa en Nouvelle- Calédonie le 5 mai 1988 où 19 militants indépendantistes et 2 militaires ont été tués, occupe toujours les mémoires collectives.

Le panorama que nous avons pré- senté est forcément limité. Il y a encore beaucoup d’autres crimes du système colonial et capitaliste qui méritent d’être revisités. Nous n’avons pas parlé du génocide des Caraïbes, des crimes de l’esclavage e t du colonialisme, les guerres pour- suivies par le néocolonialisme, no- tamment en Afrique.

Nous avons voulu simplement m ontrer que la répression et les massacres du système colonial- capitaliste traverse le temps histo- r ique, qu’ils sont toujours en oeuvre dans la société où s’exerce la lutte de classes.

Les communistes qui ont pour boussole, la théorie marxiste-léni- niste, a toujours analysé avec luci- dité sans jamais perdre de vue les intérêts des travailleurs et du peu- ple et la perspective de libération du peuple guadeloupéen.

C’est cette position idéologique qui lui a permis d’éviter les pièges ten- dus à Le Moule en 1952 et à Pointe- à-Pitre en 1967 pour décapiter le Parti Communiste.