Communisme et anticolonialisme ( 3 ème p artie)
En faisant la part des fluctua- tions stratégiques, des erreurs tactiques et des errements indi- viduels, on peut néanmoins dresser ce constat : le commu- nisme est le seul mouvement politique du XX ème siècle à s"être jeté massivement dans la lutte contre le colonialisme.
«Ce qui est remarqua- ble dans le cas du Vietnam, observe Jean Chesneaux, ce qui donne tout son poids à l"expérience révolution- naire vietnamienne, c"est que le communisme, limité initialement à quelques cercles d"intellectuels et d"ouvriers, à Hanoi et à Saigon, est venu relayer les mouvements natio- nalistes traditionnels. Au Vietnam comme en Chine, s"est réalisée plei- nement l"équation entre mouve- ment national et mouvement com- muniste, et ce fait est capital, pour comprendre de quelle autorité dis- posent au Vietnam Hô Chi Minh, ses compagnons, et tout Ie Parti communiste vietnamien».
Une hégémonie communiste au sein du mouvement national qui a plusieurs raisons : la dépendance des autres composantes à l"égard des puissances étrangères, l"inca- pacité des autorités coloniales à faire émerger des interlocuteurs plus dociles, la brutalité de la répression qui frappe l"ensemble du mouvement national, et sur- tout la capacité des communistes à y échapper grâce à leur sens de l"organisation et à leur implanta- tion populaire.
L"équation entre mouvement natio- nal vietnamien et mouvement com- muniste, au demeurant, ne s"est pas établie d"un coup : dans la décennie qui suit sa fondation en 1930, le Parti communiste s"appelle «Indo- chinois», et non pas vietnamien. Car la lutte révolutionnaire s"attaque à la domination coloniale française, en tant qu"expression locale de «l"im- périalisme» en général. Elle s"inscrit dans le cadre instauré par l"occu- pant, la «Fédération indochinoise» qui regroupe les territoires français du Laos, du Cambodge et des trois pays vietnamiens (Tonkin, Annam, Cochinchine).LA LIGUE POUR LA LIBÉRATIONDU VIETNAM, LE VIET MINH
C"est avec l’occupation japonaise, en 1941, que l"action des commu- nistes vietnamiens devient spécifi- quement vietnamienne, et qu"ils fondent la Ligue pour la libération du Vietnam, le Viet Minh. Ils adop- tent alors le drapeau rouge à la grande étoile d"or, qui deviendra en 1945 celui de la République démocratique du Vietnam. Introducteur du marxisme au Vietnam dans les années vingt, Hô Chi Minh joue un rôle prépondé- rant dans la fondation du Viet Minh en 1941 après avoir fondé le Parti communiste indochinois en 1930. Appliquant la stratégie du «front uni» définie par le Komintern en 1935, cet agent dévoué de l"Internationale com- muniste est devenu le principal stratège du mouvement national vietnamien. C"est son parti, le PCI, devenu Lao-dong Vietnam ou Parti des travailleurs du Vietnam à partir de 1951, qui va diriger le mouvement de libération natio- nale aux heures les plus critiques. Il conduit la Révolution d"août 1945 qui aboutit à la proclamation de la République démocratique du Vietnam le 2 septembre. Il fait la preuve de son autorité en signant avec la France, le 6 mars 1946, un accord qui a le caractère d"un com- promis, puisqu"il parle de «liberté» dans l"Union française et non d"in- dépendance. Puis il dirige la résis- tance nationale entre 1946 et 1954, et c"est sa profonde popula- rité qui met en échec les concur- rents que les autorités françaises ont tenté de lui opposer.LA SOLIDARITÉINTERNATIONALE
Au cours de ce long combat, le parti vietnamien n"est pas coupé du monde extérieur : il demeure lié au mouvement communiste interna- tional, et ses relations sont étroites avec les partis communistes sovié- tiques, chinois et français.
A ses yeux, Moscou est la capitale du communisme, et de jeunes révo- lutionnaires vietnamiens, dès 1928, ont été envoyés à l’université des cadres révolutionnaires de l’Orient. Les relations avec les communistes français sont également d"une importance cruciale. Membre fon- dateur du PCF, le futur Hô Chi Minh tient dans les colonnes de L"Huma- nité une chroniqué anticoloniale. C"est à Paris, dans les années vingt, qu"il forme les premiers groupes communistes vietnamiens. Lorsque la répression coloniale frappe dure- ment le mouvement national, vers 1930, les prisonniers politiques du bagne de Poulo-Condore, dans le golfe du Siam, ont pour seul contact avec le monde extérieur les marins des bateaux qui ravitail- lent le pénitencier. La cellule com- muniste du personnel navigant français les approvisionne secrète- ment en livres, assure les liaisons avec le Komintern, Ies sauve de l"isolement politique.
La victoire électorale du Front Populaire en 1936 a d"immenses répercussions au Vietnam. Les pri- sonniers politiques sont libérés, et l’action politique légale redevient possible. Lorsque Hô Chi Mi vient en 1946 à Fontainebleau pour dis- cuter avec le gouvernement fran- çais, il reprend contact avec le Parti communiste français. En dépit de divergences tactiques, les relations se resserrent à partir de 1950, et les communistes français prennent une part déterminante à la cam- pagne contre la guerre d"Indochine, la «sale guerre». Les communistes Henri Martin et Raymonde Dien, emprisonnés pour leur action con-tre la guerre, sont considérés com-me des héros dans les maquis vietnamiens. Les relations entre communistes viet- namiens et chinois, enfin, ne sont pas moins étroi-tes. Une commu- nauté millénaire de culture s"est transférée, au XX e siècle, à la lutte pour l"émancipation nationale. La célèbre «Longue Marche» (1934- 35) compte dans ses rangs des Vietnamiens, et son prestige est tel que l’un des principaux dirigeants du PCI adopte cette expression comme pseudonyme.
Quand les troupes de Mao Zedong arrivent en 1950 sur la frontière du Tonkin, la guerre avec la France entre dans une phase nouvelle. Les Vietnamiens savent qu"ils sont dé- sormais adossés à un puissant Etat socialiste, et cet avantage straté- gique galvanise la résistance. A suivre…