L’illettrisme, encore trop présent dans l’archipel

En Guadeloupe, 20% des per- sonnes âgées de 15 à 65 ans (soit environ 48 000 per- sonnes) sont en situation d’il- lettrisme, contre 7% dans l’Hexagone. Un chiffre alar- mant qui incite les instances publiques et privées à travailler main dans la main pour com- battre ce fléau sociétal.

QU’EST-CE QUE C’ESTQUE L’ILLÉTRISME ?

Ce terme désigne la situation des personnes de plus de 16 ans qui n’ont pas acquis une maîtrise suffi- sante de la lecture, de l’écriture et des compétences de base pour être autonomes dans des situations sim- ples de la vie quotidienne. En effet, être en situation d’illettrisme c’est être par exemple dans l’incapacité de remplir un chèque, de retirer seul de l’argent, de lire des consignes de sécurité, de suivre un plan. C’est aussi ne pas oser envoyer une carte postale, laisser un petit mot... Les signes de l’illettrisme sont nom- breux et présents dans tous les actes les plus anodins du quotidien. Il crée des complexes et freine l’évo- lution de l’individu. Jessica Oublié, auteur de BD, est coordinatrice régionale de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI).

Son rôle est de coordonner et d’or- ganiser sur le territoire les différents acteurs et actions qui agissent contre l"illettrisme. «Cela m’a touché de pouvoir agir au service d’une cause nationale aussi importante».

De son côté, Joceline Laurent est la directrice de l’association Jielle Formation en Guadeloupe. «J’ai été affligée lorsque j’ai entendu les chif- fres. J’ai à coeur de défendre les plus démunis et on est démunis lors- qu’on ne sait ni lire, ni écrire... Ce sont des éléments indispensables dans une société pour se cons- truire et être libres de ses propres choix». Dès 2010, elle lance alors des ateliers de formation et de remise à niveaux pour les per- sonnes en difficulté avec des cours de langue française et étrangère et des cours d’informatique.

Joceline Laurent milite contre les fausses croyances vis-à-vis de l’il- lettrisme. «Il y a énormément de sentiments de honte et de malaise face à cela alors que c’est un phé- nomène moins rare qu’on ne le pense. Il peut y avoir une stigmati- sation ou un jugement qui en découle et je lutte contre cela».POURQUOI UNETELLE SITUATION ?

Les causes, elles les expliquent par différents facteurs. «Certaines per- sonnes âgées ne sont pas allées au bout de leur scolarité par souci matériel. Elles ont du travailler jeune pour subvenir aux besoins de la famille. Pour les personnes entre 30-45 ans, ils ont pu avoir une sco- larité en dents de scie et ont avancé avec ces carences jusqu’à trouver un emploi ne nécessitant pas de grandes compétences. Mais, à un moment donné, ils se retrouvent bloqués et ne peuvent plus évoluer professionnellement».

Il y a aussi d’autres cas. «Les trou- bles peuvent intervenir dès le CP, du fait parfois de déménagements ou de difficultés d’adaptation des enfants... On a évoqué aussi la langue créole qui pourrait amener à un délaissement de l’apprentissage du français mais aucune étude ne démontre que les personnes bilingues connaissent des pro- blèmes d"illettrisme. Le plus gros facteur reste la précarité sociale de l’île. Un tiers de la population guade- loupéenne vit en dessous du seuil de pauvreté et les événements sociaux depuis les grèves de 2009 n’ont pas aidé à améliorer le niveau de vie. 60% des Guadeloupéens font appel aux aides de la CAF du fait de la vie chère aux Antilles. N’oublions pas les g rèves dans les écoles, souvent fer- mées à cause des problèmes d’eau, et les blocages des routes à répétition. L es enfants n’ont pas eu de scolarité fluide depuis une vingtaine d’années. Les professeurs, en sous nombre, se r etrouvent débordés et le suivi sco- laire est mal réalisé».

Dès lors, l"illettrisme a des consé- quences sur tout le parcours de vie.«C’est une vraie question de poli- tique publique. Les conséquences sur la confiance en soi et sur l’estime de soi sont très lourdes. Il ne faut pas négliger l’impact émotionnel de l’il- lettrisme. Certaines personnes enta- ment des remises à niveaumais ont du mal à maintenir leur assiduité en cours par angoisse et crainte. Les intervenants doivent être formés à gérer cela. Il faut développer un accueil individualisé».QUELLES SOLUTIONS ?

Jessica Oublié met du coeur à l’ou- vrage et tente de mobiliser les acteurs publics. «Pôle Emploi, Mission locale, Opérateur de Compétences (OPCO), foyers ruraux, associations périscolaires, Greta, Centres de formations, tous proposent des choses très intéres- santes contre l’illettrisme mais par-fois ne sont pas au courant des actions de leurs voisins. L’objectif est d e fédérer ces acteurs pour élaborer ensemble un plan d’action et de pré- vention contre l’illettrisme».

En effet, déclarée grande cause nationale par le président Emma- n uel Macron, l’illettrisme touche majoritairement la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte et quelques territoires de France Hexagonale. Jessica Oublié sou- haite ainsi intervenir dans le milieu professionnel. «Une personne sur deux en situation d’illettrisme se trouve en emploi. Il s’agirait de constituer un réseau expérimental de correspondants en entreprise qui identifierait et accompagnerait ces salariés vers une solution de forma- tion adaptée. Les conseillers Pôle Emploi feront de même envers les demandeurs d’emploi».ET L’AVENIR ?

Si, aujourd’hui 20% des 16-65 sont en situation d"illettrisme, Jessica Oublié a espoir dans l’avenir. «Ces chiffres datent de 2011. La pro- chaine enquête aura lieu cette année et nous aurons les résultats en 2023. Des ateliers d’écritures ont été initiés dans les bibliothèques municipales. Nous allons également ouvrir des permanences dans les zones les plus isolées pour accueillir notamment les exploitants agricoles. Nous avons foi q ue nos efforts paient».

Or, la crise sanitaire a quelque peu e ntaché les progrès attendus. «Le confinement a isolé encore davan- tage les gens. Chez Jielle Formation, n ous avons mis en place des cours en ligne avec les moyens numériques pour continuer à répondre présent et nous mettons toute notre énergie dans ce combat qu’est l’illettrisme».

JIELLE FORMATION Immeuble Manida Rue Fulton 97122 Baie-Mahault 0690 56 77 48