Les limites de la loi sur l’obligation vaccinale
En août, le Gouvernement fran- çais a voté une loi encadrant l’obligation vaccinale pour cer- tains corps de métier. Depuis, cette loi a suscité de nom- breuses controverses et remises en question notamment de la part des Guadeloupéens, majo- ritairement opposés. Isabelle Faye-Marajo, juriste, s’est plon- gée dans les méandres de cette loi et a tenté d’en comprendre tenants et aboutissants. Elle relate ses conclusions dans un livre intitulé «Obligation vacci- nale, la Résistance en marche».
Comment est née l’idée d’écrire unlivre autour du sujet de l’obligation vaccinale ?
Isabelle Faye-Marajo :Lorsque la loi a été votée et adoptée au Sénat, nombreux professionnels de l’univers de la loi et du droit du travail ont été surpris. Honnêtement, je pen- sais qu’elle ne serait pas validée par le Conseil Constitutionnel mais force est de constater que je me suis trompée. Alors, j’ai commencé à m’y intéresser de plus près. Je suis juriste de formation au sein d’un cabinet d’avocats et cela m’a inter- pellé dans le cadre de mes fonc- tions. J’ai tenté d’interpréter cette loi et de la comprendre mais j’ai vitemis en exergue des incohérences dans son texte et j’ai réalisé qu’il était important de les dénoncer.Parlez-nous de ces incohérences
En premier lieu, cette loi entre en conflit avec des dispositions légales en vigueur et plus singu- lièrement avec des textes qui sont applicables en droit du tra- vail. Le droit fondamental du travail. Elle entre également en conflit avec des règles juridiques déjà en vigueur et elle n’a pas de consistance dans les faits
. Un employeur, comme un employé, a des droits et des devoirs. C’est ainsi qu’un employeur a comme devoir de fournir du travail à son salarié lorsqu’un contrat de tra- vail est établi. Or, dès lors qu’il y a suspension de travail, il n’y a plus de travail… En effet, l’obli- gation vaccinale impose i ncombe à certains profession- nels de se faire vacciner contre la covid pour continuer à exer- cer leur métier. Si ces derniers refusent de se soumettre à l adite obligation, ils sont alors suspendus Ceux qui le refusent se retrouvent alors suspendus et sans ressource. Voilà ce qu’im- pose la loi du 5 août 2021 rela- tive à la gestion de la crise sani- taire de l’obligation vaccinale mais elle n’explique pas ce qui se passe après cette suspension... Combien de temps peut-elle durer ? Comment réintégrer les salariés suspendus ? Comment peuvent-ils vivre sans rémuné- ration ? Autant de questions. Beaucoup d’employeurs et em- ployés se retrouvent dans une impasse juridique car les contours sont flous voire même existants et cela fait plusieurs mois que nous demandons des réponses...Comment expliquez-vous ce videjuridique ?
Pour endiguer la pandémie, il a fallu trouver des mesures fortes. La vac- cination était semble-t-il la solution la plus adaptée pour beaucoup mais pas pour tous, surtout en Guadeloupe où 70% de la popula- tion n’est pas vaccinée. Les Gua- deloupéens sont réticents et méfiants face à «l’Etat colonial» qu’est l’Hexagone. Il y a des volets historiques, géographiques et cul- turels qu’il fallait peut-être prendre en compte avant d’établir une telle loi sur un territoire en proie aux conflits sociaux. Il est clair que les Guadeloupéens n’approuvent pas cette obligation car ils ont la sensa- tion qu’on joue avec leurs libertés fondamentales et ils n’ont pas tort. Cette loi est vue comme un manque de respect envers nos populations et, surtout, le dialogue manque cruellement. Cette loi est surréaliste et elle va clairement lais- ser des traces par la suite …Lesquelles ?
Aujourd’hui, de nombreuses per- sonnes du milieu hospitalier par exemple sont exclues à tort de leurs activités salariales par l’em- ployeur qui se retranche derrière la loi du 5 aout 2021 pour mainte- nir les salariés en dehors de l’entre- prise. Toutefois, la loi du 5 août 2021 a des limites puisqu’il n’est pas possible pour l’employeur en l’état actuel du droit, de se fonder sur ladite loi pour prononcer le licenciement des salariés suspen- dus. Le Sénat ayant rapidement rejeté les dispositions du projet de loi instituant de telles mesures.
L’employeur n’a pas ce droit et, bien heureusement. Il va donc fal- loir trouver des solutions pour réintégrer ces personnes ou alors entamer des négociations pour rompre leur contrat (ex : par le biais de rupture conventionnelle). On entend également parler de reconversion professionnelle mais aucun accompagnement n’est identifié.
De plus, il faudra aussi penser à tous ces mois sans revenu, qui va payer ? De nombreux salariés ont déjà saisi le Des procédures au Conseil des Prud’hommes et cela risque de ont déjà été entamées et cela risque de coûter cher aux employeurs car il est fort probable que les salariés obtiennent gain de cause et demandent la régularisa- tion de leurs salaires. A titre d’exemple nous avons une déci- sion récente du conseil de prud’hommes (01/03/2022) qui a donné gain de cause à une sala- riée, une infirmière d’un Ehpad qui avait été suspendue par applica- tion de la loi du 5 août 2021. Dans cette affaire, le juge prudhommal a condamné l’employeur à verser l’intégralité des salaires non payés depuis le début de l’arrêt, soit 13.412 euros, et ce dernier devra également verser à la salariée 1.500 euros de dommages et inté- rêts. Dans sa décision, le Conseil de Prud’hommes a également ordonné : «La réintégration immé- diate de la salariée à son poste».Quelles seraient, selon vous, lessolutions possibles ?
Il faut instaurer un vrai dialogue dans l’univers du travail pour trouver des compromis et éviter des situations extrêmes qui fragi- lisent tout le monde. L’employeur fait face à un manque de person- nel. Il prend le risque de devoir faire face à des sanctions qui auront pour conséquence de le fragiliser au niveau financier. À celui-ci, il se met dans une situa- tion financière instable. Les deux parties sont perdantes dans ce scénario. Peut-être faudrait-il évo- quer un roulement entre le per- sonnel vacciné et non-vacciné ? Cibler des métiers spécifiques qui sont directement en contact fré- quent avec le virus ? L’archipel est déjà fragilisé par un système médi- cal trop lent et archaïque, il est dommage de compliquer davan- tage les choses. Il faut se poser les bonnes questions et vite !