Regard sur les conséquences de la guerre d’Ukraine en Afrique

En l’espace de trois semaines, deux résolu- tions ont été prises lors de l’Assemblée générale de l’ONU en rapport avec la guerre en Ukraine. La première le 2 mars por- tait sur l’agression de la Russie contre l’Ukraine.

Sur les 193 pays membres de l’ONU, 13 pays n’ont pas pris part au vote dont 8 pays africains : le Burkina Faso, la Guinée, la Guinée- Bissau, Eswatini, l"Ethiopie, le Cameroun, le Maroc et le Togo.

34 pays se sont abstenus dont 16 pays africains : l"Algérie, l"Angola, le Burundi, le Congo- Brazzaville, la Guinée équatoriale, Madagascar, le Mali, le Mozambique, la Namibie, le Soudan, le Soudan du Sud, l"Afrique du Sud, le Sénégal, la Tanzanie, l"Ouganda et le Zimbabwe.

5 pays ont voté contre : Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Erythrée et la Syrie.

En tout, 24 pays africains sur 54 ont préféré ne pas approuver la résolution de l’ONU condamnant l’agression russe contre l’Ukraine. Quelle signification donnée à ce choix de non alignement ? D’au- tant plus que le même scénario allait se répéter à quelques voix près le 24 mars lors de la seconde résolution exigeant l’arrêt immé- diat des hostilités par la Russie contre l’Ukraine (140 votes pour, 5 votes contre, 38 abstentions).

Tout d’abord, la première raison s’expliquerait bien que lointain dans l’histoire par le soutien apporté par l’URSS (à l’époque) lors de la période décolonisation des pays afri- cains. On pourrait se rappeler que notamment en Mozambique, Namibie, Afrique du Sud ou en Zimbabwe, l’aide de l’URSS a pu per- mettre l’accession au pouvoir d’an- ciens Mouvements de libération.

Mais, c’est surtout la seconde raison beaucoup plus récente qui expli- querait la «neutralité» des pays afri- cains : les rapports nouveaux qu’en- tretiendrait la Russie avec l’Afrique notamment sur la question alimen- taire, les ressources naturelles et la sécurité. Cette nouvelle stratégie a été mise en oeuvre lors de la pre- mière crise avec l’Ukraine en 2014. Des sanctions avaient été prises contre la Russie par les pays occi- dentaux ce qui avait emmené la Russie à se replier sur de nouveaux partenaires : l’Afrique. C’est ainsi que se sont développés :

- L’exportation de blé (premier ex- portateur mondial !) vers l’Afrique du Nord (Égypte, Algérie, Nigeria, la Tanzanie, le Kenya, l"Afrique du Sud et le Soudan).

- L’investissement massif d’entre- prises russes en tant qu’opérateur minier dans le secteur de l"or parti- culièrement en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Guinée, ..) avec une approche plus partagée et plus consensuelle avec les communau- tés locales (culture d’entreprise favorisant le travail en équipe, le res- pect mutuel, promotion du déve- loppement local et économique,..).

- L’accroissement d’accord de coopération militaire avec 20 pays d"Afrique subsaharienne lui per- mettant non seulement de four- nir plus de 30% d’armes acquises par ces pays mais également d’être présent fortement dans la sécurité d’État.

Ces raisons citées précédemment expliqueraient en partie cette neutralité ou plutôt cette pru- dence qu’afficherait environ la moitié des pays africains. Mais cela ne s’arrête pas là !

En effet, la situation internationale dans son contexte géopolitique est aujourd’hui très complexe. Le retour à la bipolarisation du monde et la multi-dépendance des pays afri- cains les contraignent à mesurer leur prise de décision.

Certains pays africains en dévelop- pement avaient choisi de mener une politique de diversification des partenariats dans un contexte international de multipolarité dérégulée. Ces partenariats dont les objectifs étaient avant tout économiques en misant sur la concurrence ont connu une évolu- tion vers des partenariats politique et sécuritaire. C’est ainsi que cer- tains pays comme le Congo dépend économiquement de la Chine mais politiquement est proche des États-Unis !

Or, l’évolution du contexte de crise internationale provoquant la repolarisation du monde en deux camps crée dans ces pays africains une incertitude car face à des choix délicats.

Pour certains pays en Afrique, Maintenir la paix avant tout est la seule alternative pour la survie de leur régime ce qui explique leur positionnement de «non aligne- ment». Mais jusqu’à quand ce posi- tionnement va-t-il pouvoir résister surtout si ce conflit demeure ?

Au-delà de l’aspect diplomatique, l es premières conséquences attei- gnent les pays africains lesquels avaient déjà été fragilisés par la pandémie : le choc inflationniste fragilise davantage la sécurité ali- m entaire et l’envol des prix à la consommation. Forcément les conséquences sociales vont être d ures, très dures pour les peuples ! Les mesures déjà prises par les gouvernements ne pourront pas résister à l’usure de cette guerre. Dans ces conditions, les réactions des peuples risquent de créer des i nstabilités politiques dans toute l’Afrique. Qui va gagner à ce jeu là ? Les Occidentaux ? La Russie ?

En tout état de cause, seule l ’union des pays africains pourrait redistribuer les cartes. Tout d’abord elle serait peut-être dans une capacité en étant dans une position de «non-alignement» d’imposer la fin de cette guerre à travers un cessez-le-feu et des négociations pour l’application d es traités non appliqués.

Et d’autre part, pour l’avenir du monde, la mise en place d’une poli- tique de souveraineté en matière d e sécurité et de défense et la réali- sation d’une communauté écono- mique africaine. Faire émerger l’Afrique comme une puissance dans un monde multipolaire afin d’imposer la paix !