A l’horizon des sargasses

Le journaliste et réalisateur Thomas Delorme, auteur de nombreux documentaires autour de thématiques liées à l’Outre-mer, s’est penché, pour son nouveau film, sur le phéno- mène environnemental des sargasses. Un fléau qui touche la zone Caraïbe depuis dix ans et qui détruit, à petits feux, nos littoraux. Tourné en 2021, le film intitulé Horizons : Caraïbes, sur la route des sar- gasses, est à découvrir sur Guadeloupe la 1 è re .

Comment est né ce projet de documentaire ?

Thomas Delorme : Je réalise depuis une quinzaine d’années des films documentaires dans les Antilles. De plus, j’ai un fort intérêt pour les questions environnementales et le sujet des sargasses est un sujet fort et très peu traité dans les médias. Nous avions le souhait de mettre en lumière ce phénomène qui s’inscrit, malheureusement, durablement dans le temps, et de comprendre comment les Etats et les popula- tions agissent pour s’organiser face à ce danger.Est-ce un sujet sensible ?

Oui car il est difficile de trouver des données chiffrées et des études scientifiques concrètes qui aillent dans le même sens. On n’est encore incapable d’expliquer la cause des sargasses. Il s’agirait d’un mauvais cocktail de l’activité minière au Congo et de la déforestation en Amazonie. Ces agricultures inten- sives seraient à l’origine de la créa- tion des algues sargasses en mer. Le sujet est extrêmement complexe car il englobe des acteurs bien trop grands et bien trop puissants pour que les comportements en amont puissent évoluer

. Les sargasses vont bel et bien devenir un phénomène régulier et récurrent et qu’il va fal- loir apprendre à vivre avec… Pour autant, personne ne semble s’en soucier. Nous avons donc fait le choix de ne pas réaliser un docu- mentaire à charge, un documen- taire politisé, car il est compliqué de maîtriser tous les points d’entrée de cette problématique, mais nous souhaitions, tout de même, mettre en exergue des initiatives, souvent personnelles, individuelles et iso- lées, qui permettent de minimiser l’impact destructeur des sargasses en mer et sur nos plages.Avez-vous des exemples d’initiatives réussies ?

Bien sûr, c’est le coeur de mon docu- mentaire. Je suis parti en Républi- que Dominicaine où j’ai rencontré José qui fabrique et installe des filets dans la mer pour contrer les sar- gasses. C’est un pays qui vit du tou- risme et, face à un état démission- naire, les hôtels se démènent de leur côté pour trouver des solutions et ne pas perdre leurs clientèles étran- gères. Ils ont réussi à sécuriser leurs plages. J’ai également croisé Alexis en Martinique, marin-pêcheur, qui fait de même au François. Encore une fois, il s’est lancé tout seul, attristé de voir ses plages infestées de sargasses. Chaque initiative que j’ai pu découvrir est le fruit de la volonté d’un ou plusieurs hommes mais jamais d’un gouvernement. Toute la zone Caraïbe est touchée mais il n’y a aucune action de mener de manière conjointe et active. Ce film permet de valoriser des projets et démontre qu’il existe des solu- tions pour agir face aux sargasses quand on le veut... En Guadeloupe, le club Sentinelles, constitué des jeunes de Port-Louis, analyse les images satellites pour détecter les mouvements des sargasses en mer. C’est génial. Cela permettrait de pouvoir monitorer l’arrivée des sar- gasses et d’intervenir avant qu’elles ne viennent s’échouer sur les litto- raux… Mais qui va s’en occuper ? Pourquoi personne n’agit réellement ?

Ce n’est que mon avis mais c’est une question d’argent… Les sar- gasses restent un épiphénomène pour beaucoup de pays de la Caraïbe. Nous voyons les dégâts q u’elles peuvent créer, notam- ment environnementaux avec l’érosion des plages, les effluves toxiques qu’elles émettent et, sur- tout, les désagréments imposés a ux animaux. Les tortues n’arri- vent plus à rejoindre les plages lors de la ponte, certains poissons res- tent bloqués dans les amas en pleine mer… Les conséquences sont colossales mais tout le monde regarde ailleurs car cela n’impacte pas, encore, les portes- monnaies…Quel est le message d’espoir qui ressort de votre film ?

J’ai tourné des portraits de gens impliqués et investis. Comme ce b iologiste au Brésil qui passe des heures à consolider ses analyses, ces agriculteurs dominicains qui développent du compost à base de s argasses ou encore ce couple d’amis à Saint-Barthélemy qui transforme la sargasse en papier et carton. Il y a de très belles choses qui naissent et qui méritent d’être e ncouragées. Les sargasses pour- raient devenir une catastrophe naturelle alors il est important que d es efforts persistent.Horizons : Caraïbes, sur la route des sar- gasses, à revoir sur Guadeloupe la 1ère