Le droit à l'autodétermination

Le droit à l'autodétermination des peuples est bien souvent associé à la Révolution française et celle-ci est considérée comme l'événement majeur ayant fait émerger ce principe. En ef fet, la Révolution française, en proclamant la liberté de l'homme, a sans doute été, de manière indi- recte, à l'origine de la proclama- tion, par la suite, de la liberté des peuples, des nations. Cette Révolution a vu naître le principe de la souveraineté nationale, principe qui s'est attaqué non pas au pouvoir de l'État mais à l'origine du pouvoir dans l'État. Ainsi l'«État cesse d'être la chose du prince pour s'identifier à la nation et fusionner avec elle». L'État devient l'État national et est au service de la nation. C'est autour de cette idée que s'est forgé le concept des nationali - tés, appelé ensuite «principe des nationalités». C'est un principe selon lequel «toute nation pos - sédant certains caractères prop - res (d'ordre ethnique, linguis- tique, culturel, religieux, psycho- logique, historique, etc.) aurait un droit naturel à se constituer en État indépendant». Le principe des nationalités, en tant que principe de politique internatio- nale, a profondément influencé la vie des peuples depuis son apparition. Le XIXe siècle fut par excellence l'âge du nationalisme européen et donc du principe des nationalités. En effet, il fut reconnu pour la première fois lors de l'indépendance de la Grèce (en 1831) et de la Belgique (en 1832). Puis vint la Révolution de 1848 qui fit souf - fler un vent de démocratie et réveilla les nationalités. C'est ainsi que le programme nationaliste de la Révolution de 1848 suscita une nouvelle recrudes - cence des revendications nationalistes.

Au principe des nationalités s'est peu à peu substitué le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ces deux expres- sions dérivent d'une même doctrine qui étend la notion de la liberté politique au-delà du cadre de l'État. Chaque groupement politique doit pouvoir choisir librement l'organisation étatique dont relèveront ses membres, de même que les citoyens d'un État démocratique peuvent librement désigner les gouvernants de cet État. Le pre- mier à prôner la libre détermination des peuples fut Lénine qui, dans son écrit La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, considé- rait le droit à l'autodétermination comme un critère général de la libération des peuples opprimés. Wilson, président des États-Unis en 1918, lui aussi considère, dans l'énumération de ses quatorze points, que le droit à l'autodétermination est le droit de chaque peuple de choisir librement la forme du gouvernement qu'il désire. Dans son discours du 11 février 1918, il af firme d'ailleurs : «Les peuples ne pourront plus désor- mais être dominés ou gouvernés que par leur propre consentement».

Selon Georges Scelle, il existe toutefois une dif férence entre le principe des nationalités et celui de l'autodétermination. Le prin - cipe des nationalités serait, selon lui, fondé plutôt sur un «com - plexe de faits : condition, race, religion, culture, langue etc.», c'est-à-dire sur une solidarité naturelle, au lieu d'une solidari - té consciente et voulue. La volonté jouerait alors un rôle secondaire. Le principe du droit des peuples à disposer d'euxmêmes serait fondé, quant à lui, sur la faculté juridique conférée par le droit positif aux membres des groupements politiques de se constituer en entité politique indépendante, de se détacher de la communauté à laquelle ils appartiennent, ou de s'unir à une autre communauté de leur choix. Dans ce dernier cas, la volonté prédominerait. Cependant, pour de nombreux auteurs, le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est la suite logique du principe des nationalités, puisque certains estiment que «le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est une seconde version du prin- cipe des nationalités», et d'aut- res considèrent que ce droit est la conséquence juridique du principe des nationalités. En effet, alors que la nation cor- respondait au principe des nationalités et le peuple au concept de la souveraineté populaire, aujourd'hui les deux concepts se rejoignent au sein des Nations Unies et des pactes internationaux de 1966.

Dans ces pactes, le terme « peu - ple » a été choisi comme le plus large et le plus conforme au droit de la libération. D'après la conception de l'Organisation des Nations Unies (ci-après dénommée ONU), le terme peuple englobe «les populations de tous les pays, de tous les territoires dépendants non autonomes ou sous tutelle». Ainsi d'après l'ONU, les termes «nations et peuples» sont assimilés aux «populations» habitant dans un territoire délimité. Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, devenu au sein de l'ONU une règle générale, remplace dans son fondement le concept de la nation par celui du peuple, notion plus large et basée sur le libre arbitre, ce qui signifie que le peuple est en mesure de vouloir son autodétermination.

C'est ainsi que la Charte des Nations Unies, qui vise comme objectif principal le maintien de la paix et la sécurité internatio - nales, pose une série de règles que les membres de l'ONU sont obligés de respecter pour attein-dre ce but. Au nom de ces règles édictées afin d'atteindre le but énoncé, figure «le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes». De cette simple formule, tout le concept moderne du droit à l'autodétermination s'est façon- né et se façonne encore aujourd'hui. Ainsi, la Charte de l'ONU a donné une assise juridique au principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et en a fait une véritable règle générale du droit à vocation universelle. Même si ce droit n'est pas une nouveauté dans les relations internationales, puisqu'il existait notamment sous la forme du principe des nationalités comme nous l'avons vu précédemment, il en est une dans la mesure où cette règle fait désormais partie du droit positif de l'ONU et est encadrée dans l'ensemble des dispositions du système.

Ce principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est pro - clamé par l'article 1er commun au Pacte international des droits économiques, sociaux et cultu - rels et au Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966, et qui énonce : «Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel». Ce principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes com - porte donc plusieurs volets. Il y a tout d'abord le volet politique, selon lequel un peuple doit être libre de choisir son gouverne- ment et ses gouvernants. Vient ensuite le volet social, selon lequel un peuple peut librement choisir la voie par laquelle il va promouvoir son développement culturel et social. Il y a enfin le volet économique, selon lequel les peuples sont libres de pour- suivre leur développement éco- nomique. L'alinéa 2 de cet article 1 dispose notamment à cet égard que : «Pour atteindre leurs fins (c'est-à-dire leur libre détermination), tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs res - sources naturelles». Cette disposition fait directement référence à l'un des principaux corollaires du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et qui est celui de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. Selon ce principe de souveraineté, l'État dispose sur son territoire de la propriété de ses ressources naturelles et est ainsi le seul habilité à les exploiter.

Le principe de souveraineté sur les ressources naturelles a été introduit dans les débats des Nations Unies à la suite de la demande des pays colonisés et des pays en développement de pouvoir bénéficier de l'exploitation de leurs ressources naturel - les. Un long processus tenu au sein de l'ONU a fini par consacrer le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. C'est ainsi que par sa célèbre résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 196212, l'Assemblée générale a solennellement proclamé le droit de tout État de disposer librement de ses richesses et de ses ressources naturel - les. Aujourd'hui, chaque État dispose, en droit, d'une souveraineté pleine et entière sur ses richesses et ressources naturelles13. Ce principe s'adresse à tous les États ainsi que l'a rappelé l'Assemblée générale des Nations Unies dans bon nombre de ses résolutions 14. De plus, la Cour internationale de justice aaf firmé, dans son arrêt sur le Timor oriental, que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes constitue une coutume générale du droit international contemporain et « tel qu'il s'est déve - loppé à partir de la Charte et de la pratique de l'Organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes». La souverai - neté sur les ressources naturelles étant l'un des principaux corollaires du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, on peut légitimement penser que cette souveraineté est également un droit opposable erga omnes. Toutefois, même si ce principe est reconnu pour les États et par la jurisprudence internationale comme une norme incontournable du droit international, il n'est pas respecté par tous. En ef fet, des territoires restent soumis à la domination étrangère, et ce, malgré les répercussions de la résolution 1514 (XV) de l'Assemblée générale de l'ONU sur la décolonisation qui af firme que tous peuples qui sont sou- mis à l'exploitation étrangère ont le droit de s'auto- déterminer. Quels sont ces territoires ? Les territoires restant soumis à la domination étrangère sont de deux sortes. Il y a d'une part les territoires occupés qui, selon l'article 42 de la Convention de La Haye (IV) de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, sont considérés «comme occu - pé(s) lorsqu'il(s) se trouve(nt) placé(s) de fait sous l'autorité de l'armée ennemie». C'est ainsi que les territoires palestiniens sont considérés, par les Nations Unies, comme occupés notam- ment par la résolution 242 du Conseil de sécurité, territoires dont la puissance occupante est l'État d'Israël. D'autre part, il y a les territoires non autonomes dont l'expression désigne, selon l'article 73 de la Charte des Nations Unies, les territoires «dont les populations ne s'admi- nistrent pas encore complètement elles-mêmes». Selon les Nations Unies, il existe encore aujourd'hui seize territoires non autonomes dont le Sahara occidental, qui est administré de fait par le Maroc.

Que devient la souveraineté sur les ressources naturelles dès lors qu'un peuple est placé sous domination étrangère ou coloniale ? Est-il le titulaire de cette souveraineté ou cette titularité est transférée à la puissance occupante ?

Le principe de souveraineté per- manente sur les ressources natu - relles s'applique normalement à tous les peuples. Il faut pourtant relever à cet égard l'imprécision du langage employé par les Nations Unies concernant la sou - veraineté sur les ressources natu- relles. Parfois l'Assemblée générale emploie le terme «État» pour évoquer le titulaire de la souveraineté sur les ressources naturelles et parfois elle emploie le terme de «peuples» ou «nations». Ces expressions se rencontrent parfois successive - ment dans le même texte18.

A suivre…