Colombie : Victoire historique de la gauche !

Dans un contexte de dégagisme des dirigeants en place, d’un désir de changement de la popu- lation face aux inégalités écono- miques et à la corruption, Gustavo Pétro devient, le dimanche 19 juin 2022, le nou- veau président de la Colombie. Comme il l’a déclaré «C’est un jour historique pour la Colombie» car en fait, jamais, en deux cents ans d’histoire, la Colombie n’avait connu de pré- sident de gauche.

Il a réussi à séduire un électorat urbain, qui mobilise les classes moyennes éduquées et la jeunesse universitaire. D’autre part, il a su incarner les aspirations de la société colom- bienne. Une société pressée de tourner la page du conflit armé et qui souhaite l’assainissement de la vie politique. Il a aussi promis un programme orienté vers l’écolo- gie, de taxer davantage les riches.

La troisième tentative aura été la bonne pour l’ancien maire de Bogota, déjà candidat en 2010 et 2018. Il comptabilise 50,5% des suffrages et l’emporte face aux 47,3% recueillis par son concur- rent. Pour le président Gustavo Petro, qui prendra ses fonctions le 7 août, la Colombie commence une nouvelle histoire et que le changement qui s’est produit est celui d’un gouvernement pour la paix, la justice sociale et la justice environnementale.

MAIS QUELS SONT EN RÉALITÉLES ENJEUX DE CETTE VICTOIRE ?

Ces élections révèlent deux enjeux très importants : l’un au niveau interne au pays et l’autre sur l’aspect international. Dans un pays dans lequel la polarisation de deux blocs est bien réelle et frappé d’une grande crise sociale, le défi est colossal et complexe. Cependant la gauche est attendue au tournant.

Pour se donner les chances de réfor- mer son pays, passer d’une société en conflit en une société de paix et rechercher la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants seront plus que nécessaires. D’ail- leurs, dans le projet du président actuel, le projet est de repenser le rôle de l’armée dans la société et en le dissociant de la police minée par la corruption et en l’associant au projet politique et économique.

D’autre part, afin d’impulser cer- taines réformes sociales et fiscales, le nouveau président devra comp- ter sur une coalition politique élargie à travers un accord national. L’objectif du président Gustavo Petro qui est de bâtir en Colombie un État social qui n’existe pas pour permettre à la population l’accès à des droits collectifs (santé, retraite, éducation, travail, etc.) et individuels (minorités discriminées) nécessite une réforme fiscale. Pour ce faire, il doit réformer un système fiscal par- ticulièrement régressif, injuste et dysfonctionnel. A ce titre, le nou- veau président affirme que près de 12 milliards de dollars seront mobili- sés pour financer ses programmes et les politiques publiques de l’État.

Gustave Petro affirme aussi sortir le pays de son modèle «extractiviste» basé sur l’exploitation et l’exporta- tion de ses ressources naturelles et agricoles, sur les marchés interna- tionaux, pour aller vers une écono- mie à haute valeur écologique, cir- culaire, et garantissant la souverai- neté productive, alimentaire, éner- gétique. Il souhaite une économie productive et de la connaissance favorisant la montée en gamme de la force de travail colombienne. Inscrire sa politique économique dans le cadre des travaux et des recommandations de la Commis- sion économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal). C’est l’un des objectifs les plus délicats et compliqués.

Sans toutefois ouvrir un front direct avec la première puissance mon- diale, les Etats-Unis, l’élection de Gustavo Petro pourrait, malgré tout, les inquiéter. En effet, la vic- toire de Gustavo s’ajoute à celles d’Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) au Mexique, d’Alberto Fernandez en Argentine, de Luis Arce en Bolivie, de Gabriel Boric au Chili ou de Pedro Castillo (plus diffi- cile à situer aujourd’hui dans cette «famille» politique) au Pérou, ces dernières années. De plus, si le Brésil choisit l’ancien président Lula face à Jair Bolsonaro en octobre prochain, des perspectives nouvelles s’ouvri- ront pour tous ces dirigeants, avec en ligne de mire, la possibilité de relancer des initiatives plus fortes d’intégration régionale aujourd’hui en souffrance, notamment du fait du retrait de Jair Bolsonaro de ces problématiques.UNE VICTOIRE AUSSI POUR LA POPULATION NOIRE ET LES FEMMES

L’élection de Gustavo Petro est éga- lement historique du fait que pour la première fois dans l’histoire du pays, elle permet l’élection d’une vice-présidente noire, afro-descen- dante, militante de la défense de l’environnement et des droits humains, issue de la côte pacifique du sud du pays : Francia Marquez. Leader féministe afro-colom- bienne. Elle avait été la figure du combat écologiste et candidate la mieux élue lors des législatives de mars. De quoi mettre à mal l’élite blanche. Son ascension a fait émer- ger au grand jour en Colombie où 9,3% de ses 50 millions d"habitants s"identifient comme Afro-descen- dants. Peu d"entre eux occupent des postes de pouvoir, et encore moins des femmes. Une seule Afro- descendante est aujourd"hui au gouvernement et deux parlemen- taires noirs siègent parmi les 300 députés et sénateurs.

Agée de 40 ans, Francia Marquez est une femme engagée et très a ctiviste. Se mettant en danger ainsi que ses enfants pour ses prises de position, elle a été d’ailleurs vic- t ime d’un attentat en 2019. Dès l’âge de 16 ans, elle devenait mère et sera immédiatement confrontée au monde du travail. Durant toute cette période, ses engagements s ont impressionnants : lutte pour les droits des populations margina- lisées, lutte contre les multinatio- nales qui exploitent les alentours de rivière, les extractions minières illé- gales, présidence de l’association des femmes de Yolombo, a entre- pris avec 80 femmes une marche de 500 km, participation au Sommet national agraire et popu- laire pour mettre en avant le vécu des victimes, participation à la rédaction de l’accord de paix entre le gouvernement colombien et la g uérilla des FARC, récipiendaire du Prix Goldman pour l"environne- ment en 2018, réception du Prix N ational de défense des Droits de l’Homme de la part de l"organisa- tion suédoise Diakonia. Francia Marquez est le visage de cette Colombie reculée, rurale et souvent d élaissée aux mains des groupes armés, de ces minorités trop sou- vent oubliées par les gouverne- ments en place. Elle est l’espoir de toute une partie de la population qui pourrait enfin être écoutée et voir la fin des inégalités sociales. Rien que cela !QUID DES LENDEMAINSPOST ÉLECTORAUX ?

Au-delà de cette victoire historique, maintenant il faudra pouvoir réali- s er ce vaste projet de rupture. L’obligation de trouver une coalition avec les partis du centre et le parti l ibéral ne provoquera-t-elle pas des désillusions de l’électorat de gauche ? Car, Gustavo Petro sera obligé de faire des compromis sur certaines réformes. Pour l’instant, c’est la fête q ui prime devant cette victoire ines- pérée. Cette victoire est tout un symbole rempli d’espoir pour une grande partie du peuple de la Colombie. Gageons qu’une nou- velle ère de prospérité commence pour les oubliés d’hier !

Pour l’heure, personne ne veut vrai- ment penser à cela. «Le simple fait qu’il soit élu est un symbole impor- tant, rétorque Paola. Un président de gauche en Colombie, cela était impensable il y a si peu de temps».