Les enjeux de l'accord Jacques Bino
En 2009,la Guadeloupe a vécu pendant 44 jours un mouvement social qualifié par des observateurs avertis d'évènement historique.Rassemblées sur une plate- forme de revendications autant sociales qu'économiques et sociétales 49 organisations ont conduit des dizaines de milliers deGuadeloupéens dans une confrontation pacifique avec le pouvoir économique et politique. La France entière,le monde ont suivi l'évolution de cette forme inédite de ce qui s'appar entait à une rév olution démocratique.A u cœur de la plate-forme, il y a v ait la r e v endic ation salariale de 200 euros net sur les bas salair es, l'équiv alent de «100 bouquets à soupe» comme aimait à le rappeler le secrétaire général de la CGTG, Jean-Marie Nomer tin. A u paroxysme de cette confrontation sociale par f aite- ment maîtrisée par le LKP (le liyannaj des organisations),le 17 février un syndicaliste de la CGTG,Jacques Bino est tué par balle.Les circonstances de cet assassinat restent toujours troubles. C'est dans ce contexte où le mouvement commence à marcher sur la ligne de crête et ou l'exaspération de la population est perceptible qu'un accord régionalinterprofessionnel sur les salaires,dit accord Jacques Bino est signé par certainesor ganisations professionnelles d'employeurs,les syndic ats des salariés, sous la médiation de l'Etat. Le MEDEF n'a pas signé cetaccord. Cet accord qui accorde les 200 euros aux bas salaires relève d'un financement social qui est arrivé àéchéance le 1er mars 2012.L'Etat a v oté une disposition qui prolonge sa participation au financement jusqu'au 31 décembre 2012.Après cette date les entr eprises de vr aient assurer seul le financement. Les syndicats qui se positionnent,ce qui est juridiquement juste,sur les clauses de l'accord signé réclame l'intégration des 200 euros net dans les salaires au 1ermars 2012. Les entreprises n'ont pas la même lecture et l'Etat sedébine. Y'a-t-il une volonté d'enterrer l'accord Bino en violation detoutes les lois sociales ? Les ingrédients d'un conflit lourd se mettent en place. Pour quels objectifs ? L a grèv e qui se déroule actuel lement à l'usine de Gardel pour l'application de l'accord Bino met en évidence toute la complexité de la situation. Pour bien informer nos lecteurs nous avons demandé àJean-P aul Eluther,Président de C on vention Pour une Guadeloupe Nouv elle, quelle est son analyse de l'accordBino. Il nous a adr essé cet ar ti cle que nous soumettons à v otr e réfle xion.
Explications de Jean-Paul Eluther…
U n accord régional interpro- fessionnel sur les salaires en Guadeloupe, accord Jacques Bino, a été signé le 26 janvier 2009 par quatre organisa- tions professionnelles d'employeurs d'une part et 7 organisa - tions syndicales représentatives de salariés d'autre part. Le préambule qui précède l'accord est un diagnostic par les signataires em-ployeurs et salariés du contexte économique et social dans lequel s'inscrit cet accord et qui justifie la nécessité de recourir à une augmentation des bas salaires pour limiter les inégalités salariales. L'accord Jacques Bino prévoit une aug - mentation mensuelle de salaire de 200 euros net bénéficiant principalement aux plus bas salaires (du SMIC à 1,4 SMIC). Pour les autres rémunérations (de 1,4 à 1,6 SMIC), l'accord renvoie à la négociation de branche et/ou d'entreprise (article II de l'ac - cord). L'accord fixe aussi les conditions de financement de cette augmentation des salaires (articles III et IV). Prise en charge par les entreprises tout d'abord (de 25% à 50% de la revalorisa - tion selon l'effectif de l'entrepri- se), par l'Etat ensuite, par le biais du Revenu SupplémentaireT empo-raire d'activité (50% de la revalorisation quelque soit la taille de l'entreprise), par le Département et la Région enfin (25% de la revalorisation pour les entreprises jusqu'à 100 salaries). La durée de prise en charge est fixée à 36 mois pour l'Etat, 12 mois pour les collectivités. Il prévoie qu'à l'issue de la période de trois ans, l'augmentation de salaire sera intégrée à la rémunération des salariés et sera à la charge des entreprises (articles V clause de convertibilité-). Il est enfin prévu que la part de revalorisation de salaire incombant aux entreprises est exonérée des cotisations et contributions sociales (hors CSG et CRDS) pendant trois ans, voire au delà suivant l'adoption d'une dispositionlégislative.
Cependant, l'accord Jacques Bino ne produit ses effets qu'à l'égard des seules entreprises adhérentes à une organisation syndicale ou groupement d'employeurs signataires de l'accord. Parmi les non signataires de l'accord ou ayant refusé de participer à la négociation, le MEDEF, la CGPME, la FNSEA. Conformément au code du travail, les syndicats ont saisi le ministre charge du travail pour lui demander d'étendre a tous les salariés de la Guadeloupe les dispositions de l'accord Jacques Bino. En effet, l'extension, quand elle est admise a pour objet de rendre obligatoire les termes d'une convention ou d'un accord col - lectif à l'ensemble des entreprises du champ territorial concerné, qu'elles soient ou non signataires de la convention ou de l'accord collectif concerné. Dans son arrêté paru au J.O. du 10 avril 2009, le ministre du travail a étendu l'ac - cord du 26 février 2009 à tous les employeurs et salariés dans le champ d'application de l'accord. Il en résulte que l'augmentation générale de 200 euros prévue par l'article II s'applique désormais à toutes les entreprises de Guadeloupe dans les conditions de versement et de financement prévues par cet accord. Mais, cette augmentation n'a qu'un caractère provisoire (3 ans). Enef fet, l'arrêté ministériel exclut de l'extension :- Le préambule de l'accord. - L'article V de l'accord (clause deconvertibilité). Sur l'exclusion du préambule, le gouvernement a donné gain de cause au MEDEF qui était hostile a cet accord tant dans son aspect social (l'augmentation des bas salaires) que dans son préambule qu'il analysait comme portant atteinte aux valeurs fondamen - tales de la république. Cependant, l'arrêté ministériel a écarté cette argumentation, et choisi un raisonnement juridique selon lequel le préambule serait dénué de toute portée normative et de tout lien avec l'objet d'un accord collectif. En réalité, la volonté du gouvernement fran - çais et du patronat d'exclure le préambule est de tenter de minimiser les succès obtenus par le mouvement populaire enGuadeloupe.
De portée beaucoup plus importante est la décision d'exclure de l'extension la clause de convertibilité au motif que cette stipulation de l'accord imposerait une aug- mentation générale de salaires sans tenir compte de la situation économique qui prévaudra aux échéances qu'ilfixe. Curieux argument qui n'est pas évoqué pour l'accord initial. La conséquence de l'exclusion de cette clause est qu'au terme des trois ans pré- vus par l'accord, l'augmentation mensuelle de 200 euros ne s'appliquera plus qu'aux seules entreprises signataires de l'accord. Il en résulte que ce sont donc majoritairement les petites entreprises guadeloupéennes qui sont tenues à l'application intégrale de l'ac - cord Bino au-delà du délai de trois ans, puisque ce sont cel - les qui sont membres des organisations patronales signataires de l'accord du 26 janvier 2009, ainsi que celles qui à la suite de la signature de l'accord ont accepté d'y adhérer directement et volontairement. Les plus grandes entreprises dépendant du MEDEF ne sont donc pasconcernées.
Que faut il faire maintenant ? Manifestement l'arrêté d'extension est illégal. Il perturbe le droit des salariés à la négociation qui est un droit fondamental garanti par des normes internationales (OIT : convention 98 et droit européen : Charte sociale) et le préambule de la Constitution française. Il est aussi contraire aux valeurs guadeloupéennes de soli - darité et de justice. Il doit être abrogé. Enfin, il faut faire vivre l'accord Bino en appliquant les dispositions relatives à la négociation et éventuellement par la négociation l'interpréter ou lamodifier . L'enjeu est donc fonda - mental pour les relations de tra - vail dans notre pays.
(*) Président de la Convention pour une Guadeloupe Nouvelle